Leur importance dans les troubles de la Communication
SOMMAIRE
INTRODUCTION ………………………………………….. p.3
I INTEGRATION PSYCHIQUE DU CORPS
Définition ……………………………………… p.4
Mécanisme physiologique fonction d’abstraction p.6
principales phases de cette opération p.8
ne pas confondre éveil et perception p.9
la permanence p.11
l’attention p.11
II CONSTRUCTION de la REPRESENTATION
du MONDE et de L’ESPACE
Description du processus …………………………………………p.13
Illustration dans des expressions artistiques ………………………p.15
III CAS CLINIQUES
Chloé, un cas d’astigmatisme ………………………………… p.19
les diagonales ……………….. p.20
la conscience de son corps …….. p.21
la représentation des directions ..... p.22
l’image de l’image ……………… p.24
Benoît, une « maladie rare » ……………………………………… p.26
Daniel, un enfant « hyper actif » ……………………….…….. p.29
Bernard et le bégaiement ………………………………..…… p.30
Mr. R., un sportif forcené ………………………………………… p.32
Mr. C., un ancien dyslexique à la retraite ……..……………… p.34
Mme F. et le syndrome cérébelleux ………………………p.34
Claude, un trouble complexe et rebelle du langage ……………p.36
Yohan, cas complexe de drépanocytose ……………………p.37
CONCLUSION ……………………………………………… p.42
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Les pathologies nouvelles, celles issues de l’ère du virtuel et du mode de vie qui lui est attaché, invitent à se pencher avec une attention toute particulière sur l’étape spécifique de l’élaboration psychique de l’espace orienté.
C’est l’étape première, dit C.G. Jung, de la construction du Moi.
Si l’ouvrage du psychanalyste Didier Anzieu, « Le Moi Peau », a révolutionné en son époque (1985) le monde de la psychanalyse en marquant du sceau du corps l’évolution thérapeutique dont j’ai pu bénéficier avec bonheur, c’est toutefois principalement à Henri Bergson que je ferai référence ici et à son ouvrage « Matière et Mémoire » (1896). En effet, pour qui sait entrer dans les méandres de sa pensée descriptive, il ouvre grand les portes de l’imagination thérapeutique en nous invitant à suivre « pas à pas » le dédale physiologique de l’établissement des fonctions mentales et psychiques. Il est vraisemblable que le trouble dont lui-même souffrait (une apraxie) en affûtait tout naturellement l’intuitive intelligence. Aujourd’hui, pratique de la clinique et moyens modernes d’investigation confirment ses observations.
J’étayerai mon propos de différents cas cliniques. Certains seront issus de cas d’enfants « in-orientés » par le simple fait qu’ils n’ont investi psychiquement ni le geste ni la matière, enfants normalement scolarisés dois-je préciser. Ils constitueront le versant Education proprement dit. D’autres relevant de Pathologies avérées en expliciteront la physiologie en offrant à l’observation une autre facette. D’autres encore laisseront entrevoir l’immense champ thérapeutique que cette façon d’appréhender les dysfonctionnements recouvre.
Mais pour commencer je poserai quelques définitions indispensables à la compréhension de l’ensemble.
I
Intégration psychique du corps.
A - Définition
Il s’agit là d’un concept relativement récent en occident.
Alors que depuis la nuit des temps l’Orient a multiplié les pratiques visant à y accéder (kiudo, yogas, taï chi chuan et arts martiaux, et médecines telles que l’acupuncture), il n’a été introduit chez nous que très progressivement depuis le siècle dernier, par le biais des travaux de différents psychanalystes. Chacun d’eux l’a abordé sous un angle particulier en œuvrant de façon quelque peu marginale et solitaire.
Je citerai pour mémoire deux d’entre eux :
- Georg Groddeck (1866 -1934) célèbre pionnier de la psychosomatique qui explicita dans son ouvrage Le Livre du Ça (1923) le rôle des facteurs psychiques dans les maladies organiques,
- et Jean Piaget (1896 - 1980) pour ses recherches sur la formation des fonctions mentales chez l’enfant. Tous deux en ont d’une certaine façon été les précurseurs.
C’est à leur suite que sont sortis deux ouvrages majeurs et ceci dans une même tranche de temps car ils étaient reflets de l’évolution sociale des pathologies :
- celui de Françoise Dolto en 1984 avec « L’image inconsciente du corps » dans lequel elle s’attache à différencier cette image dont nous nous occuperons précisément et qui a la particularité d’être narcissique (nous commenterons largement ce que cela suppose et ce que cela induit) de celle de schéma corporel plus connue jusqu’alors,
- et celui de Didier Anzieu en 1985 « Le Moi Peau » qui réintroduit l’importance du corps (ce grand absent du troisième quart du XXème siècle, dit-il, méconnu et dénié, qui est la dimension vitale de la réalité humaine, ce sur quoi les fonctions psychiques trouvent TOUTES leur étayage). Tous deux sont contemporains de l’éclosion des nouvelles thérapies.
Mon objectif ici sera de montrer toute l’importance de l’introduction d’une gestuelle consciente dans l’Education au langage.
Mais qu’est-ce donc que « l’intégration psychique du corps » ?
Elle définit « l’état d’être » au monde d’une personne chez qui
les fonctions de langage sont en étroite relation physiologique
avec le geste dont elles sont issues.
N’est-ce donc pas là un fonctionnement automatique ?
Eh bien non. Elle dépend de la personnalité du sujet, notamment dans sa relation au monde et résulte pour une grande part des conditions de vie qui ont été les siennes dans sa
petite enfance mais aussi de l’éducation qu’il a reçue. En tout état de cause, elle demande à être stimulée et entraînée.
« Il y a des tons différents de vie mentale, et notre vie psychologique peut se jouer à des hauteurs différentes, tantôt plus près de l’action, tantôt plus loin de l’action, selon le degré de notre attention à la vie…..
H. Bergson Matière et Mémoire p.7
….. et il ajoute plus loin….
Ce qu’on tient d’ordinaire pour une perturbation de la vie psychologique, un désordre intérieur, une maladie de la personnalité, nous apparaît comme un relâchement ou une perversion de la solidarité qui lie cette vie à son concomitant moteur, une altération ou une diminution de notre attention à la vie extérieure. »
Nous allons donner pour illustrer cet état quelques exemples où il y a non intégration, puis nous expliquerons et ce, de façon didactique, le processus d’intégration.
1. Un exemple frappant en est le type intellectuel dont on sourit volontiers. C’est un type de personne qui est capable de démonstrations verbales époustouflantes, sans cesse dans le verbe mais incapable d’être concret et de passer le cap d’une réalisation, repoussant toujours le moment d’agir. Mal à l’aise dans sa relation aux autres et dans ses sentiments, il ne sait pas non plus avoir le geste utile dans une situation donnée tandis que, maladroit, il a des gestes brusques et désordonnés. Il n’a pas le sens de l’orientation et se perd invariablement dans une ville. Paradoxalement ce fut, dans la majorité des cas, un enfant précocement éveillé et repéré comme surdoué. Ayant toujours très vite compris ce qu’on lui enseignait, il n’a jamais eu d’effort à faire pour découvrir et comprendre. Ce personnage est typiquement « coupé de son corps », déraciné disait Alexander Lowen, américain initiateur dans les années 1960 de la Bioénergie (thérapie psycho-corporelle). Il ne puise pas dans tous les corpuscules sensoriels et proprioceptifs que son corps contient tous les renseignements qui pourraient l’aider à agir. En outre, et c’est là le plus grave, venant du fait qu’il ne se soit jamais mis en lien avec son corps, il n’a jamais intégré ni mémorisé un capital d’expériences, de vécus et de savoir-faire. Bref, c’est un surdoué de l’abstrait qui risque, malheureusement et contre toute attente, de tout échouer dans la vie du simple fait de son manque de lien avec la terre.
2. Autre exemple : les relations psycho-affectives fusionnelles, à commencer par la relation fusionnelle entre la mère et l’enfant. Bien qu’elles n’aient pas les mêmes causes que la précédente, les effets physiologiques présentent une parenté. Il n’y a pas là prise de distance de soi par rapport à l’autre par le biais d’une représentation qui ponctue, différencie, délimite et construit.
Soulignons ici que c’est le propre de notre destinée humaine que de poursuivre tout au long de notre vie ce chemin de dé fusionnement. Dé fusionnement d’avec la matière d’une part dans un perpétuel affinement de notre perception du monde, tout développement d’une gestuelle consciente y participant – la recherche scientifique en est un exemple extrême, l’art et la quête spirituelle un autre. Dé fusionnement d’avec les autres personnes d’autre part – et c’est le chemin de l’individuation que nous accomplissons continûment et sans le savoir avec la prise de conscience et le retrait progressif de nos projections dont parle C.G.Jung.
3. Paradoxalement un bon nombre de sportifs relèvent de ce cas : ils progressent en « forçant » leur corps sans savoir puiser aux sources de lui-même le sens fluide et puissant du geste vécu dans une dynamique psycho-corporelle consciente et harmonieuse. Ils se « cassent » le corps qu’ils maltraitent par un exercice forcené et inadapté.
4. Certaines lésions cérébrales posent cette indication : nous montrerons comment elles invitent à mettre en correspondance, par le biais des images mentales, les schèmes psycho-moteurs et le langage pour une récupération harmonieuse des fonctions tant motrices que mentales (hémiplégie, syndrome cérébelleux, maladie de Parkinson, etc…). Les résultats sont particulièrement intéressants.
5. Des cas d’astigmatisme qui amènent à une construction perturbée de la représentation de l’espace. Ils perturbent et empêchent dans le même temps que ne puissent s’associer, dans une continuité de vécu, les différents sens entre eux (cf. H. Bergson et la nécessité de l’éducation des sens).
6. Les enfants du virtuel, ces enfants qui n’explorent plus la matière pour en découvrir les lois en se l’appropriant. Il s’ensuit tout un chapelet de dysfonctionnements :
langage pauvre, mauvaise mémoire, manque d’imagination, absence de réflexion logico déductive, difficultés en maths ou en calcul, bégaiement, angoisse et instabilité (les fameux hyper actifs dont on parle tant aujourd’hui), incapacité à se concentrer, violence …
C’est une lacune éducative qui conduit à des conséquences graves et durables car ces enfants sont introduits, le plus souvent dès leur naissance, dans un modèle comportemental « coupé du réel » qui devient au fil du temps une façon d’être au monde. Cela les amène à développer en même temps des mécanismes de compensation qui vont s’organiser solidement en de puissants réflexes, les laissant « vides », vides d’imagination, de savoir-faire et de mémoire de vie, nous le montrerons plus loin.
B - De quoi s’agit-il au plan purement physiologique,
quelles en sont les différentes articulations ?
· a ) En premier lieu, voyons le processus d’accès à la fonction d’abstraction
Analyser son processus d’avènement va être pour nous riche d’enseignement. Et pour commencer je m’appuierai, en le schématisant, sur l’exemple du biberon :
ainsi, dès les premiers jours de la vie, la maman interprète les pleurs de son enfant en posant des mots sur ce chagrin qui est issu d’une tension associée à un manque : « tu as faim, voici le biberon….là, que c’est bon ! ». Elle les charge de sa propre émotion, de sa tendresse, ils sont colorés de sa présence protectrice et contenante, qui est unifiante pour lui et contribue à ce qu’il focalise l’attention sur cet évènement précis. L’enfant alors rassasié va peu à peu fixer le mot biberon sur cet objet que désormais il associera à une satisfaction dans un lien de continuité avec sa mère.
Très vite il va halluciner cet objet porteur de satisfaction lorsqu’il aura faim et qu’il appellera.
Puis rapidement il en hallucinera en même temps le nom de telle sorte que, bientôt, prononcer ce mot suffira à l’apaiser.
Situation qui, au plan psychanalytique, peut être infiniment plus complexe, je me bornerai volontairement, et par souci de clarté, au mécanisme strictement fonctionnel et qui suffit à notre présent propos.
Que s’est-il donc passé ?
Nous observons la mise en lien entre
un état corporel que l’on nomme (fait ici de manque, de besoin et de tension)
et une chose qui le satisfait, nommée elle aussi.
Une première chaîne signifiante est ainsi faite.
Elle part d’un schème nerveux sensitivo-moteur et émotionnel lié à une souffrance et une tension
en face duquel on met un objet réponse capable d’apporter satisfaction et détente.
Au schème sensitivo-moteur et émotionnel on accroche un nom : FAIM qui est l’image sonore qui va correspondre à la fois au vécu de cette souffrance et à la fixation de ce trajet nerveux
A l’objet que l’on apporte alors et que l’enfant découvre d’abord visuellement comme une PHOTO (image visuelle) on donne également un nom BIBERON (image sonore). C’est alors qu’au contact de la tétine de cet objet va se déclancher un schème réflexe de succion-déglutition, assorti de satisfaction que l’adulte nommera encore : « c’est BON », image sonore. Il le découvrira dans une expérience sensitivo-motrice qu’il associera très vite à l’image de l’objet biberon dans un vécu global de détente.
Cinq images donc, de quatre types différents (sensitivo-moteur, auditif, visuel et émotionnel),
apparaissent dans cette situation amenée à la conscience par l’adulte,
IMAGES MENTALES qui vont fixer de façon indélébile la mémoire
de ces schèmes sensitivo-moteurs et émotionnels
aux représentations abstraites sensorielles, visuelles et sonores
de la situation, en un tout de
SAVOIR-FAIRE.
A l’occasion de cet évènement corporel concret, elles introduisent cet enfant dans un nouvel espace : celui de l’abstraction. Physiologiquement parlant,
les images mentales
sont
l’INTERFACE
entre
les schèmes sensori-moteurs et émotionnels de l’action
et leur représentation verbale abstraite.
Elles fixent désormais la mémoire des expériences conscientes de l’enfant, garantes du souvenir de ces moments vécus. Il suffira de les évoquer pour raviver émotions et savoir-faire.
Elles ouvrent le grand livre du film de sa vie …
cf. Oliver Sacks Neurologue à N.York “The river of consciousness” in La Recherche 2004 qui lui-même fait référence à H. Bergson avec les « Mécanisme cinématographique de la pensée » in L’Evolution Créatrice
nous y reviendrons plus loin.
· b) Quelles sont les principales phases de cette opération mentale ?
Deux phases principales pour cette construction, dit le Dr Emile Rogé, dans son livre « Autisme Schizophrénie, quand tu nous détiens » ed. Lanore 2004. Elles vont se dérouler selon deux plans respectivement perpendiculaires l’un à l’autre. Voyons les soigneusement en suivant avec attention le déroulement de chacune :
1. La première phase est perceptive quantitative. Elle commence par la sollicitation à agir que produisent les objets sur nous et qui interpellent certains réflexes de préhension, marche, succion ou autre, avec en même temps l’évaluation des données sensorielles et métriques pouvant nous permettre d’ajuster les mouvements de notre réponse. - Nous voyons ici que cette évaluation va dépendre de nos expériences mémorisées et stockées -. Cette étape est celle d’une pensée catégorielle ou ordinale, partagée avec les autres mammifères, capacité à établir des distinctions et des hiérarchies à travers le chiffre, le nombre et la reconnaissance des particularités.
2. Le deuxième versant de cette fonction de pensée est son versant abstrait et qualitatif, auquel semble appartenir la capacité de décision volontaire par réflexion subjective, celle-ci étant conjuguée à l’intuition. C’est en effet dans la fonction d’intuition que se trouve la capacité d’anticipation et avec elle, le sens du projet. Mais continuons en reprenant les choses :
Si la première phase se décrit dans un champ horizontal, c’est dans la verticalité qu’opérera cette deuxième phase, dite qualitative. Elle
tire sa dynamique d’une restriction,
celle de son champ d’exploration de l’espace environnemental. Celui-ci va soudain se restreindre en se concentrant à l’extrême dans une densification énergétique. Cette concentration va permettre le passage à une intégration-assimilation de toutes les données précédemment recueillies, données très physiques d’abord, et qui progressivement vont se dématérialiser en se psychisant. Or pour cela, il va falloir faire basculer l’axe des opérations, car l’intérêt du sujet va désormais se détourner du monde extérieur pour maintenant plonger verticalement dans une descente en soi. A partir de ce moment, ces mêmes contenus vont se confronter à une autre source de données qui leur seront procurées par l’arrivée de souvenirs, « mémoire du corps » dit Bergson, et je m’explique : cette deuxième source de données en effet est composée d’actes ou situations assorties d’émotions, sensations et affects qui ont déjà été rencontrés auparavant. Ils ont été mémorisés en un capital d’expériences, de savoir-faire ou de savoir-vivre selon les trajets nerveux concernés, c’est à dire trajets qui relient entre eux les gestes, les émotions, les sensations avec leur correspondant qui est le langage. Ils produiront ainsi une impression de déjà vu à la rencontre des nouvelles données. Durant tout ce temps, le sujet « se réfléchit » à lui-même dit le Dr Rogé, dans le sens propre du terme, il ne s’intéresse plus qu’à la rencontre de lui-même dans cette descente en lui faite de réflexion-méditation. Car toutes ces données, anciennes et nouvelles, vont se rencontrer, se trier, se reconnaître, s’attirer ou s’exclure, bref, s’élaborer dans une maturation-intégration affective d’émotions, sensations, affects. Elles colorieront et enrichiront désormais toute nouvelle expérience. Elles vont en effet se fixer en mémoire par un élargissement et une amplification des trajets nerveux déjà existants pour aboutir, en fin de compte, à l’accroissement du sentiment de soi. C’est par cette descente en soi, riche de tout ce vécu,
que se créera le temps personnel,
celui de la pensée subjective.
Il constituera la flèche du temps qui va de la phase concentratrice de l’introversion à la phase prospective de l’anticipation. Celle-ci en effet sera permise, et surtout amplifiée, par l’accès conscientisé au stock des expériences faisant partie du fonds commun de l’espèce et que Jung a appelé l’Inconscient Collectif.
Pour résumer notre propos, la part personnelle de nos propres expériences conscientes est inscrite dans les aiguillages neuro-psycho-moteurs, c'est-à-dire qu’elle est pour une grande part reliée à l’organisation du système perception-conscience. Elle sera source d’habileté, de rapidité, de reconnaissance, de mémoire, de conscience plus ou moins fine et aiguisée des choses, de possibilité d’expression créative personnelle accrue, de choix et d’aisance à se mouvoir dans le monde. Nous verrons comment l’exercer.
· c) Eveil et Perception, deux phases à ne pas confondre.
Prenons la peine d’insister sur la physiologie de chacune de ces phases pour tirer les particularités de chacune :
C’est au sens proprioceptif, système nerveux métrique fait de corpuscules logés dans les muscles, et aux systèmes sensoriels à qui reviennent la charge de donner à chaque instant toutes les informations nécessaires à la conduite d’un mouvement.
Très schématiquement, deux alternatives s’offrent alors :
1. ou bien rester dans l’immédiateté d’un mouvement plus ou moins réflexe de type stimulation-réponse, et les informations seront traitées par le circuit court d’une organisation relevant grosso modo de l’instinct. Il n’y aura alors ni conscience ni choix de réponse. (plusieurs degrés physiologiques existent en fait selon qu’ils affectent le seul niveau médullaire dans un circuit réflexe très court ou bien vont monter jusqu’au cortex où ils mettront en « éveil » mais ne permettront de toute façon pas la phase de réflexion qui serait nécessaire à l’effectuation d’un choix, voir plus loin).
2. Ou bien passer par un circuit nerveux plus long faisant appel à la conscience. Le mouvement est alors suspendu durant le temps où la conscience analyse, trie puis choisit le type de la réponse, gestuel, verbal ou même différé dans le temps, en tenant compte des expériences passées qui sont comparées aux données actuelles. Ainsi le circuit long confère une liberté, celle d’un mouvement-réponse consciemment choisi. Elle en inscrit en outre la mémoire.
Topologiquement parlant, l’imagerie électronique va compléter notre propos tout en le validant. Elle permet en effet de mettre en évidence les localisations des niveaux d’engramme des différentes mémoires. Elle nous montre ainsi que la mémoire à court terme, mémoire de surface, sollicite seulement le niveau périphérique du cerveau ou néocortex. Ici les mots, chiffres ou objets laissent des traces mnésiques très transitoires au niveau des régions d’intégration sensorielle. - Il s’agit de la phase d’EVEIL - L’expérience prouve que, dans la mesure où ces informations ne remontent pas jusqu’à l’hippocampe située dans les couches profondes du cerveau, dans la zone limbique où semble s’élaborer la mémorisation à long terme, mais restent de surface au seul niveau du cortex, une conversation pourra être suivie tant que l’attention du sujet ne sera pas détournée, sinon celui-ci ne saura plus de quoi il était question. Peter Duus in Diagnostic Neurologique ed. De Boeck 1998.
Concernant la phase de PERCEPTION : il se trouve dans la zone limbique une circulation importante d’informations sensorielles et proprioceptives.
Papez en 1937 avait émis l’hypothèse que ce cercle d’excitations pourrait bien représenter
« le substratum anatomique des mécanismes émotionnels,
l’expression et la composante affective des conduites instinctives »
Peter Duus
Poussons plus loin notre investigation :
Au sein de cette zone limbique, l’hippocampe, ou Corne d’Amon, et qui s’étend directement autour du Thalamus serait selon Hassler
un mécanisme de classification temporelle et de marquage temporel
des perceptions et des évènements, provoquant en cas de lésion bilatérale des troubles de l’attention
de désorientation temporelle et spatiale
et d’évocation.
Après ce traitement d’organisation et de repérage, les excitations sensorielles et proprioceptives passent par le Thalamus pour devenir conscientes (thalamus = « porte de la conscience »). Elles proviennent de toutes les parties du corps, il saura les intégrer et les coordonner en les rendant conscientes et colorées affectivement.
Il est permis de penser que c’est à cet endroit même et de cette façon que l’ « instinct-totalité » s’est, au cours des âges, progressivement dégagé de la réponse réflexe obligée et confondante de la matière. Alors qu’il est détenteur d’un savoir-faire automatique, il est cependant – et déjà - empreint de mécanismes émotionnels et affectifs. Il va se différencier, ici même et par l’acte volontaire de la PERCEPTION, en les éléments fonctionnels constitutifs qui s’autonomiseront du même coup tout en s’incluant dans un espace orienté. Ils se colorieront des émotions et des affects devenus maintenant conscients et qui pourront guider le choix d’une réponse librement choisie.
Il nous ouvre à la liberté dans cet acte de discrimination perceptive.
Il nous ouvre également une voie thérapeutique.
C’est au niveau de l’hippocampe que cette mémoire spatiale se codifie, et qu’elle tient compte non seulement de la position du sujet dans l’espace mais également de différents types de conjonctions entre les évènements sensoriels, comportementaux et cognitifs. P. Duus
Concernant la mémoire épisodique maintenant, si elle fait appel lors de son établissement à la région de l’hippocampe qui en fixe chimiquement le souvenir (PLT), on constate que sous l’effet de la répétition régulière d’évènements semblables se répercutant sur les mêmes régions du cortex, de nouvelles connexions corticales relativement stables vont s’établir dans la zone frontale et temporale. De telle sorte qu’au bout d’un laps de temps évalué à 3 ans environ l’hippocampe n’interviendra plus dans le rappel. On parlera alors de mémoire sémantique.
– ATTENTION : ce n’est pas pour cela que l’hippocampe en aura oublié la mémoire : elle conserve cette empreinte mnésique ou PLT, ce qui est vérifié par l’enregistrement de phases de rêves ou d’hypnose mais aussi par la persistance de souvenirs anciens dans le cas d’accidents cérébraux avec lésion du cortex.
– Ajoutons également que la mémoire spatiale semble demeurer confinée à l’hippocampe.
– Ajoutons encore - et pour confirmer notre propos - que la mémoire procédurale, celle du savoir-faire simple comme aller à bicyclette par exemple, ne solliciterait pas du tout l’hippocampe. Elle serait associée à des modifications dans le cervelet, les ganglions de base et le cortex moteur. in http://lecerveau.mcgill.ca Institut des neurosciences du Canada .
Nous verrons comment l’établissement d’une boucle consciente par le biais de l’image mentale pourra permettre de rétablir des fonctions neurologiquement lésées.
Toutes observations qu’il m’est quotidiennement donné de vérifier.
· d) Autre facette importante : la notion de Permanence.
Conséquence de la phase de perception, elle se traduit par « une sensation d’être, d’exister » qui peut avoir un degré d’intensité très variable selon les individus. Elle se repère facilement à la présence – ou non - d’un sentiment de sécurité et de confiance en soi, au sens de l’orientation également qui affecteront particulièrement les vécus de séparation, de manque ou d’absence. Nous verrons comment cela se joue au niveau scolaire, particulièrement dans le raisonnement logico-mathématique.
On peut observer que ce type de vécu existe
- à un degré d’intensité infime chez certaines personnes souffrant d’autisme ou de psychose, ce qui entraîne pour elles une angoisse intense de non-être,
- ou au contraire à un degré d’intensité maximal chez certaines personnes unanimement remarquées en ce qu’elles ont beaucoup de présence au monde, d’importance, « ayant de l’étoffe » dit-on - expression parfaitement imagée puisqu’en fait et physiologiquement parlant, ces personnes coordonnent au mieux leur corps physique à leur corps abstrait.
Ce vécu provient précisément d’une conscience aiguë et affinée – psychisée - de son corps en action et de sa gestion. Nous en illustrerons un peu plus loin l’expression dans les Œuvres d’Art.
· e) L’Attention
Problème d’actualité s’il en est, nous citerons pour information l’étude si approfondie et si originale que Pierre Janet a faite des formes psychasthéniques des névroses et qui l’ont amené à développer la notion de tension psychologique, d’attention à la réalité, que Bergson reprendra largement. Travaux dont l’importance a été méconnue en leur temps mais qui gagnent un très vif regain d’intérêt depuis quelques années, au regard des nouvelles pathologies.
Ainsi H. Bergson s’attacha à montrer que contrairement aux idées reçues
« l’attention serait une adaptation générale du corps
plutôt que de l’esprit et qu’il faudrait voir dans cette attitude de la conscience avant tout la conscience d’une attitude… » in Matière et Mémoire p.110
Allant plus loin dans sa démonstration, il émet l’hypothèse que
« les mouvements concomitants à l’attention volontaire fussent surtout
des mouvements d’arrêt, …
… toute perception est déjà mémoire. Nous ne percevons pratiquement que le passé, le présent pur étant l’insaisissable progrès du passé rongeant l’avenir… » p. 167
« Percevoir consiste à condenser des périodes énormes d’une existence infiniment diluée en quelques moments plus différenciés d’une vie plus intense et à résumer ainsi une très longue histoire. Percevoir signifie immobiliser. » p.233
« Le rôle du cerveau est de faire que l’esprit, lorsqu’il a besoin d’un souvenir, puisse obtenir du corps l’attitude ou le mouvement naissant qui présente au souvenir cherché le cadre approprié.
C’est l’organe de l’attention à la vie.
Il a pour fonction de nous masquer le passé… » in La vie spirituelle p. 74
II
Construction de la Représentation
du Monde et de l’Espace
A – Description du processus
Et pour commencer, je brosserai en quelques mots les conditions initiales présidant à la naissance de l’enfant :
Issu d’une totalité nourricière étroite et contenante dans laquelle la sensorialité semble être perpétuellement stimulée de façon intense et diffuse, le bébé va soudain se trouver projeté seul, dans le vide, livré à lui-même, armé – si l’on peut dire - d’un dénuement impressionnant, après la dure épreuve physique (longue pression sensorielle) de la naissance.
Je n’insisterai pas davantage sur cette étape dont a fort bien parlé Didier Anzieu,
mais j’ajouterai encore qu’il précise que l’enfant présente vraisemblablement à ce moment là déjà une ébauche du Moi en raison des expériences sensorielles déjà faites à la fin de sa vie intra-utérine et qu’il serait doté d’un élan intégrateur assorti d’une faculté à établir et à réaliser des relations d’objet.
C’est dans cette subite « castration primaire » dira Françoise Dolto, que l’enfant doté par ailleurs des capacités à établir un échange dialogué avec l’extérieur va devoir maintenant négocier la satisfaction de ses besoins –
car il est né « non fini »
à l’inverse de la plupart des mammifères régulés par leurs instincts.
Il est né particulièrement fragile et dépendant des autres, il a besoin pour survivre de se créer une enveloppe relationnelle qui fasse suite à la totalité contenante initiale maintenant perdue. Il la créera sur le mode symbolique et abstrait, et c’est là qu’aura lieu l’avènement du langage.
Retenons donc : 1) totalité contenante sensorielle, intense et diffuse
2) suivie d’une intense pression sensorielle délimitative et de césure
3) pour arriver à la plongée dans cet immense espace de néant à construire en relation AVEC les autres
sous l’étayage des sens.
L’hippocampe offre, on le voit, une structure parfaitement adaptée à cet état de détresse du nouveau né. Entourée de la même façon que le foetus d’un réservoir de circulations sensorielles intenses (il est prouvé que cette intensité facilitera la perception), et assortie d’un organe de traitement des angoisses et des peurs (l’amygdale) qui lui fournira l’énergie utile, l’hippocampe cadre, trie, marque et classe les données qu’elle transmet au thalamus chargé de les élever au niveau de conscience et d’évocation.
Insistons sur le fait que l’hippocampe, elle, n’est pas encore en état de marche au départ, au contraire de l’amygdale qui fonctionne dès la naissance sur un mode automatique d’abord, puis en laissant de plus en plus de latitude à une réponse réfléchie. L’hippocampe va donc progressivement se développer au cours des toute premières années. Elle contient une zone de cellules souches qui seront capables de se différencier en neurones tout au long de la vie. Seul,
un exercice répété des fonctions en jeu
permettra aux cellules naissantes de croître et de se maintenir en vie.
Appuyons-nous maintenant sur Bergson. Nous reprendrons soigneusement certains passages de sa description qui est particulièrement éclairante pour nous. Elle nous montre comment la construction d’une représentation du monde se fait à partir de
« la sollicitation à agir que produisent les objets sur nous. »
CORPS Au niveau primitif, l’enfant explore les objets qui l’entourent pour en retirer progressivement par l’expérience les traits significatifs qu’il fixe en images.
« Pourtant il est un objet particulier qui tranche sur tous les autres
en ce qu’il ne le connaît pas seulement du dehors par des perceptions,
mais du dedans par des affections :
il s’agit de son corps ».
C’est alors que peu à peu « les images extérieures vont influer sur cette image très particulière et qu’(il) reconnaît être (son) corps en lui transmettant du mouvement …. et inversement (son) corps va influer sur les images extérieures en leur restituant du mouvement …. (son) corps, objet destiné à mouvoir des objets, va devenir pour (lui)
« centre d’action :
il réfléchit l’action possible sur eux ».
ESPACE Mais il observe aussi que : la dimension, la forme, la couleur même des objets extérieurs se modifient selon que (son) corps s’en approche ou s’en éloigne, ….. l’intensité des sons augmente et diminue avec la distance …… cette distance représente surtout la mesure dans laquelle les objets sont assurés, en quelque sorte, contre l’action immédiate de (son) corps….. les objets renvoient donc à (son) corps, comme ferait un miroir, (son) influence éventuelle…..
- changez les objets, modifiez leur rapport à mon corps, et tout est changé dans les mouvements intérieurs de mes centres perceptifs, tout est changé aussi dans « ma perception » ….. sectionnez par la pensée tous les nerfs afférents du système cérébro-spinal : ma perception tout entière s’évanouit… mon corps est mis dans l’impossibilité de puiser, au milieu des choses qui l’entourent, la qualité et la quantité de mouvement nécessaires pour agir sur elles ... ma perception dépend de ces mouvements moléculaires de la substance cérébrale ….. qui sont, à l’intérieur de mon corps, des mouvements destinés à préparer en la commençant, la réaction de mon corps à l’action des objets extérieurs ….. ils marquent à tout moment, comme le ferait une boussole qu’on déplace, la position d’une certaine image déterminée, mon corps, par rapport aux images environnantes.
H. Bergson Matière et Mémoire p.15-19
L’acte de perception quant à lui, va apparaître au moment où son corps étant sollicité à effectuer un geste ou une action, il se donnera le choix de réfléchir – psychiquement cette fois – Il pourra de ce fait en différer ou en moduler l’action. Moment crucial où il va commencer à construire, dans ce temps de perception-réflexion, un deuxième corps,
un corps psychique
un moi psychique, le Moi-peau.
On voit bien là comment le monde tel que chacun de nous le perçoit est directement lié à la somme de ses expériences de vie dont il est le pur fruit. Chacun de nous crée son propre monde qui résonne à sa capacité de prise sur lui.
« percevoir un objet consiste surtout à savoir s’en servir »,
« la perception est une question posée à notre activité motrice »
« sa richesse (de la perception) symbolise la part croissante d’indétermination
laissée au choix de l’être vivant dans sa conduite vis-à-vis des choses. »
H. Bergson Matière et Mémoire p.45
B - Corps Psychique dans les Représentations Artistiques
Illustrons brièvement notre propos par des exemples tirés d’expressions artistiques variées. Et pour commencer
le Mime
il consiste en la transmission d’un message par une voie
« a verbale », ou pour mieux dire, infra verbale.
En effet et physiologiquement parlant, le mime s’appuie exclusivement sur la part de vécu corporel – gestes, émotions, sensations – qu’il fait vibrer de son âme et amplifie jusqu’à communiquer au spectateur et par identification, une résonance psycho corporelle.
Pour ce faire, il doit commencer par affiner au maximum l’intelligence – au sens d’intellegere qui signifie comprendre – psycho corporelle de chacun des éléments signifiants, en élaguant tout ce qui est superflu ou trop individuel. En allant puiser aux racines universelles de l’expérience, il affûte le tranchant de sa lame et décuple ainsi sa force d’impact.
Prenons par exemple le simple vocable « monter ». Nous observons qu’il se distingue de « marcher » par la direction spatiale du mouvement, et qu’à celle-ci s’attache en outre le vécu du poids à soulever, ceci s’accompagnant d’une sensation de pénibilité qui n’existe pas dans le terme « marcher ». Mais en même temps ces deux-là vont se différencier de « flotter » par le vécu même de la pesanteur. Celle-ci sera en effet réfléchie par l’action de l’eau qui en inversera le sens pour l’ouvrir en son contraire c’est à dire à l’idée de portage. L’action va ici se retourner sur le sujet qui d’acteur va devenir un acteur passif qui subit l’effet de l’action. La direction spatiale du tracé du mouvement quant à elle s’éclate et se complique de possibilités hautement aléatoires et qui sont liées à la nature même de l’eau. … Ainsi va cette réflexion et qui, d’un mot à l’autre, nous emmène, à l’infini, sous l’aiguillon de l’expérience agie ….
Cette réflexion étant soigneusement établie, l’Art du mime consistera alors à découper la « matière espace » de gestes signifiants qui feront surgir du néant un tableau, fraction de vécu censé être commun à tous.
Deux enseignantes, Pinok et Matho, en quête d’un mode d’expression toujours plus créatif ont ouvert une école de mime. Elles y ont développé avec grand talent l’étude approfondie d’une méthode pédagogique pour développer un langage plus riche, plus expressif, plus subjectif. Une part de leur activité a été consacrée à son enseignement dans le primaire dont elles ont publié articles et cassettes. in « L’expression corporelle à l’école », « Mouvement et pensée », « Dynamique de la création » ed. Vrin 1976
Henri MICHAUX et les mots-choses,
Durant ses épisodes de dépression psychotique, désespérant martèlement obsessionnel de mots aux sonorités mécaniques, mots objets, cognés mais en vain et sans résonance intime. Ils s’égrènent, comme des cailloux … seule transpire l’angoisse du vide et du non sens.
GLU et GLI
Et glo Et glu Et déglutit sa bru Gli et glo Et déglutit son pied Glu et gli et s’englugliglolera Les glouglous Les sales rats Tape dans le tas ! | Il n’y a que le premier pas ! Dans le tas ! Le rire est dans ma … Un pleur est dans mon … Et le mal Dieu sait où On en est tous là Vous êtes l’ordure de la terre Si l’ordure vient à se salir Qu’est-ce qui adviendra ? |
in L’Espace du dedans 1966 « Qui je fus »
s’oppose à la plénitude poétique de Victor HUGO
plénitude sensorielle et signifiante de chacun des mots,
des images et de l’esprit,
des mouvements, rythmiques et sonores
Les Djinns Murs, ville, Et port, Asile De mort, Mer grise Où brise La brise, Tout dort. Dans la plaine Naît un bruit. C’est l’haleine De la nuit. Elle brame Comme une âme Qu’une flamme Toujours suit ! | La rumeur approche, L’écho la redit. C’est comme la cloche D’un couvent maudit ; - Comme un bruit de foule, Qui tonne et qui roule, Et tantôt s’écroule, Et tantôt grandit. Dieu ! La voix sépulcrale Des Djinns !... Quel bruit ils font ! Fuyons sous la spirale De l’escalier profond. Déjà s’éteint ma lampe, Et l’ombre de la rampe, Qui le long du mur rampe, Monte jusqu’au plafond. |
La voix plus haute Semble un grelot. – D’un nain qui saute C’est le galop. Il fuit, s’élance, Puis en cadence Sur un pied danse Au bout d’un flot. | C’est l’essaim des Djinns qui passe Et tourbillonne en sifflant ! Les ifs, que leur vol fracasse, Craquent comme un pin brûlant. Leur troupeau, lourd et rapide, Volant dans l’espace vide, Semble un nuage livide Qui porte un éclair au flanc. |
…. extrait du poème « Les Djinns » Victor Hugo 28 Août1828
Le Tantrisme
a une vision de la représentation du monde particulièrement intéressante.
Selon cette conception, le temps et les objets n’ont pas « commencé » en un point imaginaire perdu dans les profondeurs de l’histoire, mais ils sont projetés par chacun de nous. Tout se passe comme si chacune de nos consciences présentes vomissait, comme le ferait la gueule d’un dragon, son propre univers d’expérience et de savoir. Ainsi ce n’est jamais du dehors ni au milieu des objets anciens que nous découvrirons la cause et l’origine de toute chose. Leur origine se trouve dans notre organisme psycho-physiologique et ce que nous « vomissons » n’est que ce tissu d’expériences et de souvenirs nommé réalité.
Le monde existant est conçu comme un enfantement continu
du principe féminin fécondé perpétuellement par le principe mâle.
Cette création résulte du jeu de séparation des deux principes Shiva et Shakti.
Ils sont si étroitement unis au départ qu’ils sont hors du temps et ignorent leur différence.
Puis le couple prend conscience de sa séparation.
C’est alors que Shakti, déesse symbole du temps et principe féminin « objet », se sépare de Shiva, principe masculin « sujet » et symbole de l’identité du moi. Elle se transforme en cette belle danseuse dont les mouvements rythmés tissent la trame de l’univers. Le moi (Shiva) est tellement fasciné par l’action de la danseuse qu’il s’imagine
voir une profusion d’objets différents
alors qu’il s’agit seulement de ses mouvements et de ses gestes.
Seule l’attraction sexuelle mutuelle leur rappelle qu’ils s’appartiennent
et que le monde et le moi ne sont que des aspects complémentaires d’une même réalité. Philippe Rawson in TANTRA ed. Le Seuil
Michel Ange et les célèbres « esclaves enchaînés ».
force du combat de l’impulsion vitale se faisant geste, et qui peu à peu s’élabore
pour s’ouvrir à la vie en se dégageant du roc
qu’il découpe et cisèle en même temps.
Dans cette superbe mise en scène de l’étroite relation existant au sein de cette totalité primordiale, Michel Ange figure avec toute l’intelligence aiguisée qui lui est propre - intelligence de l’incarnation de la vie de l’esprit – les premiers moments présidant à la conscience.
Ici tout est réduit à l’essentiel : seuls jouent les muscles vibrants et tendus par un effort d’auto-création. Chacun retrouve en soi cette vérité.
du Cubisme au Surréalisme, en passant par l’Art abstrait.
Ils constituent de nouveaux modes de représentation de l’espace et des objets. Il y a là pour les artistes, un enjeu qui est celui d’ouvrir notre perception à une nouvelle façon d’appréhender le monde, à une nouvelle vision du monde. Picasso en est l’un des maîtres qui explore les arts primitifs (ou premiers !) dont il s’inspire. Miro en est un autre, et qui témoigne d’une autre réalité psychique, à la fois plus intérieure et plus cosmique. Les références ne sont plus celles de l’esprit de géométrie, du geste qui découpe et identifie le monde par l’usage, mais celles de l’esprit qui pointe, synthétise, anticipe, métabolise ou opère une métamorphose.
Nous pourrons conclure cet intermède avec Henri Bergson :
« c’est dans la matière que la perception pure nous placerait
et dans l’esprit que nous pénétrerions déjà avec la mémoire. » p.200
« la séparation entre la chose et son entourage ne peut être absolument tranchée …. l’étroite solidarité qui lie tous les objets de l’univers matériel …. prouve assez qu’ils n’ont pas les limites précises que nous leur attribuons. Notre perception dessine en quelque sorte la forme de leur résidu. Elle les termine au point où s’arrête notre action possible sur eux et où ils cessent, par conséquent, d’intéresser nos besoins. » p.235
III
Cas cliniques
Nous allons maintenant illustrer notre propos de différents cas cliniques.
Et nous commencerons par la capacité physiologique à construire une représentation de l’espace orienté.
A - Chloé 6 ans ½. un cas d’astigmatisme
Chloé est venue consulter au moment de son entrée en CP. Sa maman avait en effet remarqué qu’elle ne retenait pas la graphie des lettres : elle ne savait ni les nommer ni les évoquer, comme si elle les oubliait chaque fois. C’était pourtant une bonne élève, consciencieuse et éveillée. Sa maman la décrivait toutefois comme une enfant peu sûre d’elle, un peu « collante » et non autonome.
Les tests révélèrent que Chloé avait une très mauvaise mémoire de courtes séquences de gestuelles orientées, elle ne parvenait guère à les reproduire. Et si nous les exercions un certain nombre de fois, elle montrait alors une parfaite impossibilité à associer en les évoquant les mouvements des bras et ceux des jambes dans une symétrie contrariée. Par contre, elle excellait au jeu de Memory, jeu pour lequel elle montrait une excellente mémoire spatiale immédiate de situation. Au jeu de Tan gram, elle ne parvenait pas à distinguer les formes géométriques qui constituent l’ensemble de la figure, étant littéralement noyée lorsqu’il s’agissait d’en reproduire l’agencement. De plus, dans le jeu de petits chevaux que nous avons aménagé de telle sorte que chacun des partenaires doive gérer 4 chevaux, alors qu’elle savait fort bien conduire un seul cheval à la fois, elle ne parvenait pas à en conduire plusieurs en même temps (à moins de les emmener en rangs serrés) oubliant complètement celui qui était isolé. On aurait dit qu’elle le découvrait à chaque fois, qu’il n’avait laissé aucune trace dans sa mémoire.
Allant plus loin dans l’investigation, je constatai que non seulement elle ne se représentait pas les diagonales, ce qui allait de soi compte tenu de son défaut de vision, mais qu’elle ne parvenait pas davantage à percevoir mentalement (les yeux fermés) la direction oblique que j’impulsais à sa main sur le mur pour dessiner une diagonale. Elle ne la « voyait pas », ne se la représentait pas, c’était le néant pour elle alors qu’un geste horizontal ou vertical était parfaitement perçu et représenté. En bref, sa représentation intérieure, bien que stimulée par le sens proprioceptif du geste, présentait le même défaut de vision que son œil.
Il nous fallait donc en priorité
· l’aider à percevoir les diagonales et à se les représenter en évocation.
· commencer à lui faire travailler la conscience de son corps en mouvement,
1) Les diagonales d’abord :
Nous avons imaginé le travail suivant. Il se fait les yeux bandés, conduit par le sens proprioceptif :
1. Chloé tient un feutre dans sa main avec laquelle j’effectue sur le tableau mural un mouvement très lent selon une seule diagonale à la fois. La consigne qui lui est donnée est d’imaginer qu’elle dessine « dans sa tête » ce que je dessine avec sa main = elle doit me dire « stop » lorsque l’image s’interrompt. Je m’assure constamment qu’elle parvient toujours à effectuer mentalement cette représentation. Dès qu’elle me dit en « perdre le fil », nous recommençons encore plus lentement et ceci autant de fois qu’il sera nécessaire.
2. Nous refaisons la même chose, mais je verbalise cette fois les directions tout en conduisant sa main : je monte à droite, ou je descends, etc… tandis que le feutre placé dans sa main trace le mouvement sur le tableau.
· Elle doit ensuite reproduire seule la même chose, le plus exactement possible.
· Puis elle retire le bandeau et compare son tracé au tracé original.
· Pour terminer, nous refaisons le premier travail les yeux bandés afin qu’elle puisse mettre en concordance regard intérieur, regard extérieur et sens proprioceptif.
Un travail répété de ce type lui permit peu à peu d’effectuer l’image mentale de ces obliques. Mais je m’aperçus que les formes rondes elles aussi n’étaient pas perçues.
Si l’on se place au plan strictement théorique, la conception mathématique du rond peut définir son tracé comme étant
la résultante de la somme d’une infinité de micro-vecteurs tangents à ce rond.
Or pour ce qui nous concernait et là où nous en étions alors, sa représentation des diagonales n’était pas encore assez précise quant à la justesse de leur pente et elle lui demandait encore un effort de concentration trop important – on le constatait notamment à travers son importante fatigabilité.
Et pour l’effectuation de formes arrondies, cela suppose d’être capable de se représenter tout un panel de pentes obliques, cela suppose aussi d’être capable d’effectuer le passage de l’une à l’autre. Or, changer sans cesse d’orientation, même si le changement est infime, cela dépassait ses possibilités du moment. Il nous fallait donc continuer à exercer sans relâche sa représentation mentale des obliques, dans toute la diversité de leurs pentes. Chloé éprouvait toujours le besoin de confronter cette image interne naissante à sa correspondante externe qu’elle traçait au feutre sur notre tableau mural, cela l’aidait à les mettre en correspondance. Ce ne fut qu’une fois qu’elle fut plus habile dans cette opération que nous avons progressivement pu entreprendre la représentation du cercle dans une effectuation très lente de l’image mentale du geste qui trace – tout comme le ferait le déroulement très lent d’un film qu’un grand nombre d’images statiques animent.
Cette observation confirme parfaitement l’hypothèse que Bergson faisait du « mécanisme cinématographique de la pensée » et qu’il a développée dans L’Evolution Créatrice en 1908. Nous avons trouvé des observations analogues dans l’article de Monsieur Oliver Stacks, neurologue à New York « Les instantanés de la conscience » in La Recherche avril 2004. Il reprend cette même hypothèse de Bergson car elle explique des cas de troubles neurologiques rares mais spectaculaires qu’il a rencontrés chez ses patients
« perdant le sens de la continuité visuelle et du mouvement,
ils voient une série de plans clignotants à la place »
Le docteur Stacks ajoute :
« expériences que nous pouvons parfois rencontrer dans la vie quotidienne lors d’illusions d’optique (pales de ventilateur qui semblent s’arrêter ou tourner en sens inverse par exemple) Ces moments donnent à penser que la conscience est bien composée de moments discrets, … la fusion de plans ou d’instantanés discrets est indispensable à la continuité, à la fluidité et à la mobilité de la conscience…
… ils permettent aussi à la perception et à la mémoire d’inter-agir à un niveau supérieur …. conscience primaire hautement adaptative pour ce qui est de la lutte pour la vie…
… nous passons de cette conscience primaire assez simple à la conscience humaine grâce au langage, à la conscience de soi et à l’appréhension explicite du passé et du futur : la continuité thématique et personnelle de la conscience individuelle dépend de ces trois facteurs …
… nous sommes les metteurs en scène du film que nous produisons tout en étant aussi le sujet de ce film : chacun de ses plans, de ses moments, nous constitue, nous appartient à la fois – c’est en eux que nos formes se tracent, même si nous n’avons pas d’existence, de réalité, autre que celle qu’elles nous confèrent ».
2) la conscience de son corps, corps dans ses potentialités articulatoires et de gestuelle orientée, dans sa symétrie et sa coordination psychomotrice, l’objectif étant de donner le plus vite possible à Chloé le repère de son corps dans l’espace et de la permanence qui lui est associée.
.
a) nous avons commencé par la conscience du centre, lieu source de l’énergie vitale, centre de gravité et de rassemblement d’où nous avons fait partir nos gestes, gestes physiques et gestes mentaux. Ce point se situe approximativement au niveau de la 5ème vertèbre lombaire, qui est la première articulation mobile de la colonne vertébrale. Nous demandons à Chloé d’ouvrir et de fermer alternativement l’écoulement de l’énergie en basculant le bassin d’avant en arrière, très lentement afin qu’elle perçoive ce point articulatoire. Exercice très difficile pour Chloé qui n’y parviendra qu’à la troisième séance.
Application à ce travail de centrage, le bras de fer : nous sommes l’une en face de l’autre, en ouverture de bassin, nous allons devoir éprouver la résistance de l’autre en pressant le plus fort possible notre main posée verticalement contre la main de l’autre, verticale elle aussi, le mouvement se faisant selon un axe horizontal partant du coude. Il s’agira de lui faire prendre conscience qu’en appuyant notre mouvement sur le creux des reins (en fermant les yeux on doit visualiser cette 5ème lombaire) la force est décuplée.
b) Puis nous avons entrepris le corps en mouvement, lieu de référence et d’exploration à partir duquel s’élabore la représentation du monde. C’est ainsi que nous avons tenté de lui faire reproduire et mémoriser quelques séquences gestuelles. Ces gestuelles à la fois lui pointent l’existence des différentes articulations de ses bras qui vont dessiner de façon élémentaire les principales directions de l’espace. Voici l’exercice dans sa totalité.
Il va s’agir tout simplement :
de lever puis de baisser une épaule, puis l’autre.
d’avancer puis de reculer une épaule, puis l’autre.
de lever puis de baisser un coude puis l’autre.
de lever puis de baisser un poignet puis l’autre.
de faire une marionnette avec une main puis l’autre.
Déroulement très simple de séquence articulatoire mettant en jeu, dans une succession simple et symétrique, les articulations des bras.
La même chose va exister au niveau des jambes,
mais dans une symétrie décalée par rapport aux bras.
Avancer la jambe droite, ramener.
Ecarter la jambe droit sur la droite, ramener.
Reculer la jambe droite, ramener.
Même chose de la jambe gauche.
Tourner la pointe du pied droit sur la droite, ramener.
Tourner la pointe du pied gauche sur la gauche, ramener.
Pirouette du pied droit, ramener.
Pirouette du pied gauche, ramener.
Le but ultime de ce travail est d’effectuer de façon simultanée la séquence des bras avec celle des jambes. La symétrie décalée produit une difficulté que seule une bonne représentation mentale peut permettre de dépasser. Nous demandons à l’enfant de reproduire « en miroir » ces mouvements que je lui montre, les bras d’abord, puis de les reproduire de mémoire, ce qui suppose de sa part
- soit une excellente mémoire immédiate, et nous voyons au cours de cette séance combien de temps dure cette mémoire immédiate ;
- soit qu’elle ait réellement perçu cette gestuelle et qu’elle puisse donc en retrouver le souvenir par l’évocation d’une image mentale.
Nous lui demandons ensuite de les faire yeux fermés, tout en s’appliquant à bien « se voir dans la tête » en même temps (il faut beaucoup insister pour que l’image soit laborieusement faite. L’habitude de cette pratique apprend à reconnaître si l’enfant la fait effectivement).
Nous faisons ensuite les séquences concernant les jambes de la même façon.
Dans un troisième temps, il lui faut effectuer les mouvements des bras en même temps que la séquence des jambes, le tout scandé et ponctué par un comptage.
c) Nous complétons ce travail élémentaire de base par la rotation de la conscience du Yoga Nidra. Excellent exercice d’intégration du corps, il régule les énergies par la conscience en procurant relaxation et équilibre psychosomatique.
En quoi consiste-t-il ?
Il s’agit d’une conduite de l’énergie par le mental, ceci dans toutes les parties du corps se succédant de proche en proche, de façon latérale d’abord puis en alternant selon la symétrie ensuite. Le support de cette conduite consciente est la voix du praticien qui cite successivement toutes ces parties en incitant l’enfant à se les représenter mentalement tout en les ressentant. Cette pratique est très bénéfique pour beaucoup d’enfants qui ne perçoivent pas la continuité de leur corps dans un ressenti d’unité, et qui n’ont pas, par ailleurs, la conscience de toutes ses parties. Excellent également pour intégrer la latéralisation.
3) la représentation des directions
En relation à ces deux axes et de façon alternée, des exercices variés mettent en application cette fonctionnalité en cours d’acquisition. Ils permettent l’ouverture à des champs représentatifs de nature différente et procurent une plus grande souplesse au jeu de l’abstraction.
En termes énergétiques, cela revient à dire que nous tentons de tirer l’énergie dans les zones où elle n’irrigue pas. La conduite de l’énergie se fait de façon consciente et sous mon guidage verbal. Cela s’applique à l’effectuation de l’image mentale d’abord, les exercices variés qui suivent étant destinés à ouvrir de nombreux champs du possible.
Directions,
1. dans son propre corps d’abord, et notamment la position de ses membres dans l’espace. Pour cela je lui proposai le jeu qui consiste à être une pendule et à indiquer les heures avec ses bras. Nous commençons à indiquer les plus simples (0 heure, 3 heures, 6 heures) en positionnant son bras droit d’abord tout en regardant le réveil et en dessinant au tableau une grande pendule dont ses bras sont les aiguilles. Puis nous intercalons les heures intermédiaires. Elle doit ensuite fermer les yeux et se représenter la pendule. Lorsqu’elle parvient mentalement à se représenter ce cadran, nous commençons le travail psycho corporel proprement dit. Elle doit alors percevoir dans son corps les directions que j’imprime à ses membres en les nommant tout en fermant ses yeux. Dans une deuxième phase il lui faut trouver quelle heure son bras indique et la troisième phase consiste en placer son bras pour mettre telle heure, le tout, en aveugle bien évidemment. L’idéal étant le jour où elle peut non seulement décrypter l’heure mais passer au stade suivant, celui de la représentation au feutre sur le tableau vertical. Il s’agit alors d’une première projection.
2. le stade suivant est celui qui consiste à manipuler des petites poutres pour les agencer ensemble, je veux parler du jeu de construction « Jeujura ». Il s’agit de construire un chalet à partir poutrelles de bois de dimensions différentes. Elles s’encochent les unes dans les autres et perpendiculairement l’une à l’autre selon un plan à suivre. Par la présence de césures à prévoir dans la continuité du bâti pour y insérer les portes et les fenêtres, ce jeu présenta d’importantes difficultés pour Chloé. Il y avait, on le comprend aisément, une continuité de tracé entre les directions et les ruptures occasionnelles qu’elle ne saisissait pas, un écoulement continu d’une matière (écoulement parfois virtuel mais qu’il fallait conserver au niveau des espaces fenêtre) nécessaire pour « garder le fil » de la construction. Cette expérimentation de la matière avait l’avantage de provoquer sa réflexion, car bien loin d’adopter une attitude directive, je prenais soin de rester dans la position d’accompagner son approfondissement perceptif, en pointant les étapes ou en soulignant du doigt les passages à effectuer, éventuellement de verbaliser les problématiques, mais sans jamais le faire à sa place et qu’elle n’ait qu’à copier. Et je constatai durant un certain temps que Chloé reproduisait à chaque fois les mêmes erreurs jusqu’au jour où, après s’être représenté plusieurs fois le même scénario sur lequel elle réfléchissait en évoquant ses précédents essais, elle parvint finalement à se fixer une représentation structurante de la problématique, une chaîne logico-déductive.
3. le jeu de Tan gram, qui présente d’autres caractéristiques spatiales, celles-ci étant moins linéaires que de surface, nous l’avons pratiqué sous plusieurs formes, de façon à conduire très lentement et très progressivement son analyse : je guidais son observation en la limitant par un cache qui ne laissait apparaître que deux formes à la fois. Nous verbalisions toutes les étapes en donnant un nom à chaque forme et en décrivant la direction qu’elle prenait, ainsi que sa place relative par rapport aux autres. Puis Chloé était invitée à fermer les yeux et à redessiner intérieurement toutes ces étapes. Je l’aidais si besoin à évoquer celles qui étaient oubliées. Elle pouvait ouvrir les yeux pour les observer à nouveau si jamais elle les avait oubliées, avec reformulation de leur orientation par rapport aux autres. Et pour finir, elle devait refaire le motif en réel.
4. le jeu de Master mind. Ce jeu consiste à faire un code au moyen de 5 pions colorés que l’on aligne, code que le partenaire devra découvrir en faisant des propositions d’arrangements successifs qui tiendront compte des réponses que l’autre a faites à chacun de ses pions. Il s’agit là d’une autre forme de représentation de l’espace. Ce jeu-ci nécessite une réflexion logico-déductive qui elle-même suppose que l’on ait acquis le sentiment de permanence. Permanence ici de la valeur des réponses faites précédemment et auxquelles on doit se référer toute la partie : ainsi par exemple si le joueur a signalé qu’un pion rouge ne se trouve pas à la 2ème place, il sera inutile dans les propositions suivantes de remettre un pion rouge en 2ème place. Notion sur laquelle achoppent tous ces enfants qui n’ont pas développé une conscience de leur corps dans une représentation orientée. Ces enfants ne posent pas d’acquis, tout est sans cesse remis en jeu, un acte n’a pas de conséquence.
5. le jeu de Meccano. Les mains de Chloé semblaient ne jamais servir, ne pas savoir prendre ni manipuler les objets. Les débuts ont donc été difficiles, il lui fallait expérimenter qu’un boulon et un écrou se mettent de part et d’autre des éléments à assembler (et non pas l’un à côté de l’autre, d’un même côté). Autre façon d’appréhender l’espace, autre façon de construire le système logico-déductif. Là aussi il faut lire un plan et j’ai dû accompagner Chloé pas à pas comme il a été fait précédemment.
Concernant le déchiffrage de la lecture, Chloé a rapidement progressé, d’une lecture aisée et courante. Ses écrits ont progressé parallèlement.
· Toutefois, sa compréhension de la lecture n’était pas encore bonne.
pour cela, nous avons dû travailler activement
la deuxième étape de notre programme.
De quoi s’agit-il :
4) L’image de l’image
Je dois dire qu’avec Chloé j’ai mis longtemps avant de découvrir et comprendre avec précision le travail qu’il nous fallait exercer. Je cherchais en effet à discerner parmi toutes les erreurs qu’elle commettait, le point-clé qui les tenait toutes verrouillées. Il se trouve que, petite fille appliquée et docile, Chloé m’assurait (en toute honnêteté du reste) qu’elle voyait mentalement les tracés alors que le résultat me montrait qu’il n’en était rien puisqu’il n’était pas bon.
Je relevai finalement dans nos exercices les deux points d’achoppement suivants :
- je ne lui avais pas suffisamment décomposé les directions du geste en simples vecteurs isolés,
- je ne lui avais pas suffisamment précisé (ni répété, car il me faut sans cesse l’accompagner de la voix et l’interroger en lui demandant de me stopper dès que l’image disparaît) que le travail portait essentiellement sur l’effectuation mentale du tracé (et non pas d’une forme résultant vaguement d’un geste). Or elle-même se référait - sans vraiment en avoir conscience - tantôt au tracé, tantôt à la perception globale de la sensation du geste lorsque l’image du tracé s’évanouissait,
deux images qui pour nous et au plan mental,
n’ont pas du tout les mêmes fonctions.
Je m’explique :
si elle parvenait à percevoir les diagonales et les formes arrondies, - et donc à déchiffrer - c’est en grande partie parce qu’elle avait établi de façon satisfaisante l’image de la conscience kinesthésique du geste qui écrit.
Or j’ai pu observer dans ma pratique que la compréhension de la lecture dépend essentiellement de la capacité à effectuer
l’image du tracé lui-même de l’écriture.
Cette « image d’image » permet une prise de distance par rapport au déchiffrage,
distance qui offre l’espace indispensable
au jeu de la réflexion.
N’oublions pas qu’il semble qu’il ait fallu à l’humanité plus de 20.000 ans d’expérience et de maturation psychique entre ce premier niveau de communication que constituent les fresques préhistoriques avec leur représentation qui figurent les corps en mouvement, et l’invention des premières écritures qui en démultiplieront l’usage et la pratique.
A noter que durant les premiers temps ces écritures se sont, elles aussi, fondées sur la simple figuration de personnages, animaux ou choses symbolisant ceux dont on voulait parler, pour s’affiner et se complexifier ensuite en faisant de plus en plus appel à une codification propre à chaque ethnie. (pictogrammes et idéogrammes).
Il aura fallu encore beaucoup de temps et une longue évolution pour que, changeant radicalement de registre, le signe se détache complètement de la représentation signifiante. Il perd alors toute sa valeur conceptuelle en se réduisant à n’être qu’un simple signe phonétique. C’est en s’associant à d’autres phonèmes qu’il trouvera une valeur nouvelle, valeur de deuxième rang, celle de transcrire la prononciation d’un signifiant.
représentation de représentation.
Ces étapes qui ont présidé à la maturation de l’esprit en produisant une complexification des opérations mentales se retrouvent ainsi au niveau des différents mécanismes mentaux de la lecture – or n’oublions pas que l’acte de lecture les condense en une fraction de seconde !
· Nous avons donc exercé soigneusement Chloé à dessiner l’image mentale du tracé des diagonales et autres formes composites. Cela lui a procuré habileté, liberté de réflexion, assurance et compréhension.
Ce fut très difficile pour elle, mais oh combien salutaire !
Nous allons maintenant citer le cas d’un enfant qui illustre parfaitement les propos de H. Bergson :
« l’attention est une adaptation du corps plutôt que de l’esprit …. les mouvements concomitants à l’attention volontaire seraient surtout des mouvements d’arrêt …… le rôle du cerveau est de faire que l’esprit, lorsqu’il a besoin d’un souvenir,
puisse obtenir du corps l’attitude
ou le mouvement naissant
qui présente au souvenir cherché
le cadre approprié ».
B - Benoît 9 ans, une maladie rare avec microcéphalie
Benoît est un bel enfant doux, au regard intelligent, clair et rieur. Rien au tout premier contact ne laissait supposer qu’il soit affecté d’un déficit gravissime - le syndrome de Spengler et Goldberg ou microcéphalie.
Anamnèse accablante, beaucoup de fonctions chez lui sont atteintes. A notre première entrevue, j’appris que depuis sa naissance Benoît a dû subir un nombre non négligeable d’interventions, chirurgicales et (ou) de rééducation pour pouvoir vivre, être nourri par incorporation directe au niveau d’un bouton ventral, marcher et participer à la vie. Mais à 9 ans et après trois ans de rééducation orthophonique à raison de trois séances par semaine, il n’accédait toujours pas aux fonctions mentales ni à la parole. L’orthophoniste avait tenté de le faire communiquer à partir d’un cahier personnel où figuraient quelques photos, photos de ses parents et de sa famille proche, ainsi que quelques éléments qui constituaient des repères pour lui : voiture de papa, de maman, chat, chien, et puis deux expressions émotives - aimer et être en colère – tentaient de l’impliquer personnellement dans les échanges. Avec cet outil visuel présymbolique, il était parvenu quelque peu à communiquer avec ses parents, principalement sur le mode affectif, mais il n’en restait pas moins qu’il ne savait ni désigner, ni imiter un geste, ni répéter ou émettre volontairement un son.
Il disposait de l’intelligence du cœur
et comprenait affectivement les situations de la vie courante,
mais il n’avait pas accès à une conscience abstraite
– et en premier lieu à une conscience de lui-même -
en bref, à une représentation intérieure comme vecteur de réflexion.
Benoît est un jeune enfant très attachant, affectueux et de commerce très agréable. Il aimait à cette époque appeler l’attention de l’autre et la garder par des gestes répétitifs ou par des rires, légers et agréables, sans jamais être pesant ou ennuyeux. Il me reconnaissait, affectivement, en manifestant beaucoup de joie en me voyant. Il ne savait pas du tout s’occuper à jouer ou à manipuler et n’avait alors aucun intérêt pour les objets qui ne représentaient rien pour lui – excepté peut-être ses lunettes, à minima pourtant. De plus, il ne se contrôlait pas au niveau de la propreté.
Son regard lumineux et vif m’incita à tenter d’essayer de l’amener à la parole en jouant la carte d’une stimulation psycho corporelle très intense et variée, rigoureuse et systématique. Ce sera une fois par semaine pendant 1 heure, il n’était en effet pas possible de caler une autre séance. Cette stimulation sera faite régulièrement et de façon analogue à chaque séance. Elle portait en particulier sur les points suivants :
· Conscience du corps et de l’espace : découverte de gestuelles (sauter sur 1 pied, puis sur l’autre, puis de façon alternée, marcher à genoux, marcher à 4 pattes, écarter les bras, les mettre en rond, etc…). Il me fallait lui mettre ses membres en position et les maintenir, tout en verbalisant. Un peu plus tard, différentes sortes de pas – croisé, chassé …. roulades au sol …
· accompagner un rythme chanté en se balançant, (idem, je devais l’entraîner avec moi, cela faisait partie du jeu),
· ou en effectuant des gestuelles dansées sur une musique, en tournant sur soi-même, et en tournant autour de l’autre : surprise et joie immense de retrouver le visage de l’autre après la courte absence de la virevolte ! Absence-présence
· J’ajoutai très vite à nos exercices un travail de mentalisation : je lui montrais 5 objets de forme (ou de texture) très différente que je lui faisais repérer par le toucher. Puis, les yeux bandés je les lui faisais à nouveau toucher et palper et je les repassais plusieurs fois en les nommant. Puis retirant son bandeau, je les lui faisais voir en palpant à nouveau tandis que je les nommais encore. Quelque temps après, je fis ce même exercice en lui faisant explorer mon visage dont je nommais les parties, puis son visage de la même façon. Dans les premiers temps, Benoît accepta difficilement ce travail les yeux bandés, ne comprenant pas ce qui était demandé et n’ayant à n’en pas douter quasiment aucune représentation intérieure. Cela ressemblait pour lui à un black out, mais à coup sûr, pensai-je, le succès de notre projet en dépendait – ses progrès dépendant de sa capacité à effectuer une image intérieure.
· J’ajoutai un travail d’articulation et de sonorisation, notamment concernant le [m] et le [p], travail que je devrai vite suspendre car sans résultat, pour le reprendre 18 mois plus tard – j’y reviendrai plus loin.
J’escomptais des résultats
sur un cadrage strict et régulier, avec exigence d’une exactitude de réalisation,
sur une intense participation mutuelle,
et sur l’existence d’une stimulation constante durant cette heure.
Notre travail le faisait énormément rire, il était à la fois très présent et très excité dans la relation. Notre jeu corporel le mettait en joie, il y prenait beaucoup de plaisir. Toutefois il semblait chercher durant les premières séances à me contrer en stoppant les gestes que je tentais de lui faire prendre, ceci pour reprendre ses gestes répétitifs – je ne savais dire s’il s’agissait d’une malice de sa part ou si c’était sa façon à lui de participer, heureux qu’il était de ces moments partagés.
Durant les premiers temps, sa maman me dit qu’aussitôt rentré chez lui, et durant toute la soirée, il émettait les sons qu’il n’avait pas su sortir avec moi, et qu’il s’enfermait dans sa chambre (chose qu’il n’avait jamais faite jusque là) pour sortir les jouets dont il ne s’était en fait, jamais réellement servi.
Deux mois plus tard, Benoît devenait propre et n’avait plus besoin de couches – signe évident d’une conscience de lui-même naissante. Malheureusement ce résultat n’a pas tenu longtemps.
Je constatai au bout de deux mois que sa façon d’être au monde évoluait. Alors qu’il était tout en extraversion et en dispersion, une intériorité semblait se faire, avec un temps de pose interrogative. Il était plus calme, plus attentif à ce que nous faisions, comme s’il commençait à trouver en lui un temps ou un espace de réflexion.
Sa maman constatait des progrès constants : chaque semaine elle m’annonçait des éléments marquant la progression de son autonomie et qui témoignaient du développement de la conscience qu’il avait de lui-même.
Six mois après,
il était beaucoup plus stable sur ses jambes et parvenait à courir sur une pente descendante. Il commençait à imiter les gestes, et il cherchait comment faire, notamment au niveau des jambes et des différents pas.
Parallèlement son langage progressait de façon spectaculaire :
au niveau de la parole il commençait à comprendre sinon ce qu’on lui demandait, du moins que l’on attendait quelque chose de lui, et il entrait dans cette communication en cherchant à comprendre.
Il désignait sur un catalogue des objets que l’on nommait.
A partir de la photo publicitaire d’une montre, il désignait du doigt les montres (différentes) que chacun de nous portait au bras.
Il ne parvenait pas encore à émettre volontairement un son, mais s’échappaient parfois des émissions vocales qui ressemblaient à des mots, sortes de préformes au langage.
Il a fallu faire comprendre à cet enfant - devant lequel les adultes désarmés n’avaient jusqu’alors quasiment jamais eu aucune exigence - l’effort et la concentration sur un objectif avec exigence de réalisation. Longue évolution qui allait à contre courant de l’attitude déjà solidement ancrée chez lui, ce qui a pris tout une année. Je dois souligner que nous avons été très soutenue dans cette entreprise par ses parents, à la fois très intéressés, motivés et hautement motivants par l’intérêt « éclairé » qu’ils apportaient à l’évolution de leur fils.
Et Benoît vient toujours ici avec appétit, c’est son « laboratoire » personnel, il dit au-revoir à sa maman ou son papa qui l’amène et me prend la main pour m’emmener dans le bureau. Il semble conscient des bienfaits que cela lui apporte. J’ai nettement moins besoin de le contraindre à réaliser, il est présent à ce que nous faisons.
Dans la vie de tous les jours, il a de plus en plus abandonné ses gestes automatiques et d’excitation. Il se trouve de plus en plus dans une relation langagière, attentif à ce qui se dit, n’usant pas de mots articulés certes, mais suivant des yeux l’expression de celui qui parle et qu’il ponctue de « oui » articulés à bon escient.
Chez lui, il observe son père qui bricole, il emmagasine des savoir-faire en tentant de plus en plus à l’imiter. Il mène à bien des activités manuelles.
Il faut ajouter en point d’orgue à ce travail la magnifique phase de construction de soi dont Benoît a pu bénéficier à travers l’équitation : ses parents, pris au jeu et considérant la belle évolution de leur fils dans la maîtrise de soi, ont eu la merveilleuse idée de l’initier à ce sport. Il a ainsi appris à monter et à conduire l’animal que dans un deuxième temps il brossait, caressait et soignait, devant le maîtriser en même temps qu’il se différenciait de lui. Superbe école de la vie ! Mais depuis peu Benoît a peur de monter à cheval = preuve s’il en est qu’il a beaucoup progressé dans la conscience du monde et de son environnement – et notamment du danger !
ATTENTION !
Bien évidemment, l’intensité de cette stimulation variée aurait pu induire une dépendance de cet enfant à la personne qui stimule.
Nous nous sommes scrupuleusement attachée à veiller à ce que cela ne soit pas, en impliquant au maximum l’élève stagiaire dans nos exercices, à chaque fois que cela était possible.
Autre cas qui illustre la
« …sollicitation à agir que produisent les objets sur nous… pourtant il est un objet particulier qui tranche sur tous les autres en ce qu’il ne le connaît pas seulement du dehors par des perceptions, mais du dedans par des affections : il s’agit de son corps ». H. Bergson
C – Daniel, 3 1/2 ans un enfant « hyper actif ».
La maman de Daniel est vraiment très inquiète lorsqu’elle m’amène son fils pour prendre conseil. Elle le fait de son propre chef et avec une intuitive conviction car elle me dit avoir eu dans son entourage l’exemple d’un enfant de 8 ans qui, au même âge, avait exactement le même comportement, ce dont personne ne s’est préoccupé. Et maintenant c’est la galère.
Elle me décrit alors son fils comme un enfant très nerveux dont il est difficile d’obtenir l’obéissance. Il s’est déjà sauvé. Il a beaucoup de mal à s’endormir. Il a également tendance à bégayer.
J’observe les traits doux de son visage et je pressens en lui un enfant fondamentalement tendre. Pourtant il est effectivement très instable, imprévisible dans ses réactions, pouvant même avoir des réactions violentes. Il s’intéresse très peu de temps aux choses, et c’est surtout pour les sortir ou les jeter. Je remarque que, alors qu’il ne sait ni dénombrer ni repérer dans l’espace, il sait entrer dans le rythme d’une musique. Il ne sait pas répondre aux questions que je lui pose bien qu’il en connaisse la réponse … qu’il me transmettra d’une autre façon par la suite …
comme s’il y avait une communication qui ne passait pas,
qu’il ne comprenait pas
sous cette forme de relation abstraite qui questionne.
Ses gestes de manipulation sont maladroits et voire même brutaux.
Quelques séances durant lesquelles nous développons sa conscience du corps. Et pour commencer, ceci systématiquement à chaque séance, la rotation de la conscience du Yoga Nidra. Je dois pour cet enfant accompagner la désignation successive des parties de son corps en posant ma main sur ces parties afin de le rassurer de mon contact : ce travail de mentalisation les yeux fermés serait pour lui trop angoissant puisqu’il n’a encore aucune image mentale. Cela le mettrait en face d’un vide !
Ce travail sera suivi de jeux de manipulation (le Meccano entre autres, jeu pour lequel il montre un réel intérêt, de la ténacité ainsi qu’un sens pratique du geste, même s’il s’y montre réellement très malhabile au début).
Nécessité durant les séances d’un encadrement très étroit pour cet enfant impulsif et dans l’immédiateté réactive - ce qu’il accepte compte tenu de son très jeune âge, cela le sécurise.
Et voilà qu’en peu de séances Daniel se calme, s’endort plus facilement le soir. Il est confiant, échange avec l’adulte en compagnie de qui il aime réaliser ces objets.
Parfaite introduction au langage et aux opérations d’abstraction.
… mais, parallèlement, il faut intensément verbaliser toutes les situations – afin de l’amener à relier psychiquement geste et parole et à accéder au langage …
je m’explique :
il se trouve en effet qu’un jour, alors que j’avais oublié une construction de Meccano qu’il avait commencée la fois précédente (une ébauche d’hélicoptère dont il avait très envie, mais dont le niveau de réalisation était assez compliqué pour lui) je lui avais donné à faire une autre construction bien plus simple. Il s’est d’abord plié à ma demande, sans rechigner. Mais ensuite, allant sans rien dire sous la table comme pour ramasser quelque chose, il a entrepris de démonter tout ce qu’il venait de faire !!! …
« tranquillité d’esprit, équilibre, harmonie, viennent du lien que nous avons avec la terre »
in Nei Ching, le livre des Transformations
D - Bernard 6 ans, et le bégaiement.
Bernard m’est amené pour un bégaiement clonique, il entre en CP. C’est un enfant calme et consciencieux, vif et intelligent, très intelligent même. Mais il faut dire que cet enfant est doté d’un important amour propre qui le conduit à se braquer dès qu’il se sent en situation d’échec. Ce qu’il vit comme un état d’impuissance l’angoisse et rien alors ne peut le faire changer d’idée.
Enfant très attachant, je suis d’emblée saisie par l’attitude paradoxale qui l’anime et qui le pousse, alors qu’il est doté d’un formidable appétit d’apprendre et d’une belle volonté, à éviter toute nouvelle expérience de vie qui le mettrait en difficulté.
A l’examen je remarque son corps très peu différencié dans sa gestuelle avec une importante coupure énergétique au niveau du bassin. Elle manifeste son absence d’ancrage à la terre et à la réalité (cf.Alexander Lowen et la bioénergie, thérapie psycho-corporelle). Bernard est coupé de toute la dimension terrienne de son être, il ne puise pas dans son corps les informations qui lui seraient utiles à sa conduite dans la vie. Il vit sur le mode intellectuel, abstrait, mode dans lequel il montre du reste de belles facultés. Et c’est pourquoi, enfant émotif et sensible, il a fait jusqu’ici si facilement illusion autour de lui.
Mais en même temps et du fait de sa coupure du réel, déjà et très vite au CP des difficultés apparaissent au niveau des mécanismes de la lecture et du langage, du calcul également. Oui, Bernard ne peut puiser dans son corps le sens du rythme indispensable à l’écoulement plein et harmonieux de son langage, indispensable aussi à l’opération de dénombrement qu’il ne sait faire. Il n’a pas la sécurité d’être qui lui permette d’envisager – et donc de comprendre « en creux » - la notion de manque. Il ne parvient pas non plus à tracer l’image mentale de la forme du geste que j’imprime à sa main et qu’il devrait percevoir par le sens proprioceptif – (il est littéralement paniqué par tout ce qui peut mettre en jeu gestuelle et activité physique) ….
bref, son intellect ne fonctionne que sur des idées abstraites et qui proviennent directement de son imagination, mais pour le reste il est désarmé – je devrais plutôt dire « non armé » - lorsqu’il s’agit de réfléchir sur des problématiques simples du réel en vue de jeter un pont de réalisation au dessus du manque : il n’a emmagasiné ni expérience ni pratique,
et n’a donc aucune représentation fonctionnelle du monde qui l’entoure.
De ce fait, il se panique très vite et son angoisse de non-être se traduit par un mouvement perpétuel qui le fait gigoter sans cesse. Il pressent bien qu’il a un beau potentiel intellectuel mais que paradoxalement il est d’une impuissance totale. Alors il évite ce qu’il ne connaît pas, et se braque lorsqu’il est déjà engagé.
De famille non bricoleuse, Bernard n’a pas l’habitude de jouer à des jeux de manipulation. Le Jeujura constituera une véritable épopée pour lui, l’enclenchement de poutres qui se posent perpendiculairement l’une à l’autre mais pourtant dans une continuité nécessaire de tracé, lui a ouvert une fenêtre sur le monde auquel il était absolument aveugle. Oui, si Bernard n’a pas de défaut d’astigmatisme, il avait en revanche un manque notoire d’exploration manipulatoire de la matière et qui faisait qu’il n’en connaissait pas les lois élémentaires et ne s’était pas non plus construit une représentation de l’espace orienté. Ainsi, tout comme Chloé mais pour d’autres raisons, il ne parvenait pas à percevoir en aveugle les formes arrondies, le jeu de Tan gram était pour lui une énigme, il confondait contenant et contenu…
Il nous fallut ainsi l’amener à éprouver la matière pour se construire lui-même au cœur de ce monde. Quelques résultats arrivèrent, il devenait plus habile et sa lecture plus aisée. A l’école, il suivait bien maintenant, même si son raisonnement logico-déductif était encore laborieux.
Pourtant le bégaiement ne cédait pas, et si, d’une façon générale, il s’atténuait, il lui restait encore des poses toniques dans l’écoulement de ses phrases. (Il faut préciser qu’un grand nombre de bégaiements proviennent de cas analogues où le monde abstrait n’est pas coordonné à son concomitant corporel.)
Je voyais bien que ces nouveaux acquis restaient pour lui comme de simples exercices de style, même s’il manifestait attention et vif intérêt à leur découverte. Il ne les intégrait pas encore, ne se les appropriait pas dans la vie de tous les jours, il ne faisait pas corps avec eux : c’est qu’il ne se laissait pas vibrer aux sollicitations à l’action que produisent les objets sur nous. Je pouvais aisément observer cela au niveau des histoires en images : Bernard ne se laissait pas aller à une identification de vécu,
· ce qui faisait qu’il ne voyait pas les détails déterminants pour la compréhension de la chaîne logico-déductive,
· ou bien il se mettait en position intellectuelle de raisonnement, d’observateur « à distance », sans que ne se joue
la compréhension « infra-verbale du corps ».
Discutant avec sa maman de la chose, elle me confia qu’elle-même éprouvait les mêmes difficultés, et que plusieurs fois on lui avait proposé des responsabilités, gratifiantes pour elle mais qu’elle avait dû refuser : elle manquait de confiance en elle et sentait trop bien ses limites, elle avait peur de ne pas savoir comment organiser son action, ce que l’on comprend bien. Cela la rendait d’autant plus curieuse et attentive à notre démarche.
Il apparaissait donc clairement que Bernard reprenait ce modus vivendi familial et que c’est seul qu’il devrait trouver ce chemin du langage du corps. Il ne pourrait recevoir aucun écho d’une complicité de cette nature à la maison.
Il fallait donc approfondir ce travail en multipliant les expériences, et en les traduisant en communications abstraites – dessin ou langage raconté, ou encore image mentale, car ce qui constitue la lacune majeure aujourd’hui - et de mon expérience - est que les enfants ne descendent pas dans leur fors intérieur pour effectuer cette représentation.
Nous avons donc pour commencer expliqué aux parents la nocivité d’un usage fréquent de la télévision et des jeux vidéo à la maison, en recommandant de les éviter durant la semaine.
Puis nous avons continué – avec succès définitif cette fois -
l’éducation des sens, selon Bergson.
En quoi consiste-t-elle ?
« ni la vue ni le toucher n’arrivent tout de suite à localiser leurs impressions. Une série d’inductions et de rapprochements est nécessaire, par lesquels nous coordonnons peu à peu nos impressions les unes aux autres…..
… les perceptions diverses du même objet que donnent mes divers sens ne reconstitueront pas, en se réunissant, l’image complète de l’objet ; elles resteront séparées les unes des autres par des intervalles qui mesurent en quelque sorte autant de vides dans mes besoins : c’est pour combler ces intervalles qu’une éducation des sens est nécessaire. » p 47-48
autre cas de même nature, « unité corps-esprit ».
E - Mr R., un sportif forcené
Mr. R est professeur et vient me consulter pour une dysphonie fonctionnelle sans lésion. Il a 35 ans et mène une vie familiale équilibrée, mais assez « speed » avoue-t-il. Depuis peu il ne dispose plus d’aucune puissance vocale et doit sans cesse saliver pour redynamiser l’ensemble de sa voix : « ça coince » me dit-il, et il résume l’ensemble de ses symptômes par « un épuisé de la voix ». Pourtant, il n’y a pas que la voix qui souffre chez lui. Sportif passionné d’escalade, il pratique régulièrement son sport favori mais depuis peu, il souffre de fibromyalgie : cela se traduit par un épuisement total de tout son corps, avec des douleurs partout. Il l’explique par le stress et la suractivité.
Je constate à l’examen que sa structure musculaire manque de fluidité, qu’elle est contractée et même rétractée par une musculation forcenée. Il « n’habite pas » son corps et reproduit gestuelles et mouvements de façon mécanique, sans prendre la peine de les éprouver. Je note également que ses pieds n’ayant pas une cambrure suffisante, son genou droit est dévié par un genu valgum qui le rend douloureux.
Je lui propose alors une ligne de travail qui sera basé sur la centration avec conscience du geste, le tout en correspondance avec une respiration guidée. Je lui parle de Patrick Eldinger célèbre alpiniste dont les techniques s’appuient sur une même conception : il le connaît de réputation et se montre intéressé par la démarche.
Durant les premières séances, nous alternons les mobilisations musculaires et posturales avec des temps de Yoga Nidra, respiration et rotation de la conscience pour conduire activement l’énergie dans tout le corps par le mental et activer l’intégration de son corps. Nous alternons également étirements et tonification musculaire de type Chi Kong, le tout toujours pratiqué en référence à l’axe central. Tout ceci lui demande une importante attention, son corps est un monde inconnu de lui, les étirements lui font mal tant les muscles sont littéralement soudés entre eux. Mais il est très intéressé et toujours très étonné de ses découvertes.
Je temporise son envie de reprendre les exercices chez lui, craignant qu’imperceptiblement il n’en revienne à les faire de façon machinale. Il le comprend fort bien :
très peu à la fois, mais toujours en toute conscience.
Il repart des séances léger, heureux et « vivant », l’énergie circule !
Nous tentons par la suite et parallèlement à ces exercices qui seront utiles un certain temps, de développer chez lui l’habitude de centrer sa gestuelle, ceci par une série de prises de conscience et notamment par les exercices suivants :
- Je m’arque boute derrière lui pour l’empêcher de toute mes forces d’avancer, ceci en effectuant une solide prise au niveau de ses hanches. Il doit forcer cette retenue tout en centrant son regard intérieur sur sa 5ème lombaire. Excellent exercice de centrage qui l’oblige à descendre son énergie dans ses jambes et dans ses pieds et qui lui permet d’expérimenter de façon tangible la force du bassin lorsqu’elle est convenablement distribuée.
C’est ainsi que je puis observer durant l’exercice les changements suivants :
très vite il réorganise totalement la distribution de ses forces. Alors qu’il les conduisait d’abord par « la tête » (ce à quoi, en bon intellectuel qu’il est, il est parfaitement accoutumé) et en contractant tout le haut du corps, il s’aperçoit très vite de l’inefficacité de cet appui qui le fait reculer et même glisser sur le sol. Et très spontanément, il descend son point d’appui au niveau où se trouve la contrainte du handicap – c'est-à-dire les reins. Cela permet à son énergie de franchir la coupure énergétique de son bassin pour irriguer ses jambes. Ses pieds peuvent alors s’ancrer dans le sol d’où ils tirent l’énergie nécessaire pour avancer, en dégageant radicalement son buste de tout effort. Celui-ci reprend tout naturellement sa position verticale et sa souplesse.
- Autre travail du même genre et qui, en outre, lui permet de placer sa voix : l’escrime, que nous avons enrichi d’un cri d’attaque, à l’instar du aïkido. La géométrie de la posture du déplacement oblige à une importante intériorisation du mouvement et à une centration au niveau du bassin permettant d’alléger les pas chassés. Nous avons ajouté à ce déplacement un cri poussé au moment de la « fente » du tireur. La puissance et la qualité du son sont des repères incontestables de la justesse de l’organisation psycho physiologique.
Tout ce travail induit pour lui, bien sûr, une transformation de sa façon d’être au monde dans son économie générale, attitude et comportement, et dans son rythme. Cela lui demande en conséquence un temps d’intégration et d’adaptation. Peu à peu l’activisme cède la place au geste plein, intentionnel et signifiant, reflet d’une bonne relation mutuelle corps-esprit. Il me dit avoir de plus en plus le réflexe de se concentrer par rapport à sa 5ème lombaire et constate que ses fatigues musculaires s’estompent en même temps que sa voix reprend un cours satisfaisant.
autre cas :
dyslexie, dépression et intégration du corps
F - Mr. C. ancien dyslexique à la retraite
Mr. C. me dit qu’il a toujours été dyslexique. S’il a toujours été fâché avec l’orthographe il s’en est cependant arrangé, et c’est sans difficulté majeure que sa vie s’est écoulée. Elle était structurée par un social stable et par son travail qui l’obligeait à une performance régulière et cadrée. Or depuis sa retraite, il a l’impression de perdre la mémoire et son manque du mot le gêne de plus en plus – ou bien augmente, il ne sait dire. Il a du reste fait, au jour de sa retraite, une grosse dépression dont il émerge à peine.
Tableau typique de ce qui nous préoccupe, ce vide dépressif et ce manque du mot qui va croissant témoignent du « manque à être » de ce monsieur. N’ayant su tisser la mémoire corporelle de sa vie - mémoire qui devrait surgir à chaque instant en écho aux multiples sollicitations à l’action de la vie - il se trouve aujourd’hui en face d’un film blanc, celui d’une vie qui n’a pas imprimé sa marque. Temps et espace n’ont jamais été construits ni élaborés psychiquement au travers d’une exploration consciente et intégrée du monde. Il est maintenant perdu - et perd le peu de moyens dont il dispose.
Situation angoissant s’il en est.
Il s’agit pour nous de reprendre, à sa mesure et à son rythme, la construction d’une représentation de lui-même dans sa gestuelle, dans son quotidien et même dans son écriture. Cette enveloppe mentale et psychique
va le sécuriser tout en le structurant.
un appel à la part consciente du corps pour amener à réguler les automatismes,
G - Mme F. un syndrome cérébelleux
Cette dame vient pour un langage désorganisé par des troubles du rythme, de l’équilibre et de la coordination. Elle souffre en fait d’une ataxie cérébelleuse. Je constate que tous ses gestes sont affectés par un dérèglement de la temporalité avec en particulier un défaut de ralentissement et de blocage et une erreur de direction.
Nous allons nous appuyer sur la particularité physiologique suivante :
Si le cervelet est une instance de régulation automatique,
il est néanmoins parcouru par un tout petit faisceau de fibres nerveuses qui le relient au cortex cérébral. Ce faisceau permet d’adjoindre au mouvement automatique une modulation motrice que l’on effectue consciemment et par un effort de volonté.
C’est ainsi que l’on parvient à effectuer des contorsions
et à affiner la gestuelle d’un savoir-faire.
C’est par son intermédiaire que nous allons pouvoir aider cette dame à reprendre de façon consciente la maîtrise de son articulation. C’est ainsi qu’elle pourrait reprendre du reste toutes ses autres gestuelles automatiques.
Cela va pouvoir se faire par l’induction d’une temporalité volontairement très ralentie, ceci par le biais des images mentales.
Nous savons en effet
· que chacune des images mentales concourant au « film » du geste contient, en potentiel, le savoir faire de la phase concernée,
· et que la simple évocation de ce geste déclenche le potentiel d’action nécessaire à son effectuation,
nous choisirons donc celles des images qui conviennent le mieux à la situation, tant du point de vue des capacités actuelles de la patiente que de celui du travail envisagé. Nous amènerons ainsi à la conscience chacune des phases motrices de ce mouvement désorganisé.
Concernant le langage de cette dame, nous avons pu appuyer la temporalité et
1. le déroulement de son articulation sur la visualisation du mot écrit, lettre par lettre. C’est ainsi que cette lecture mentale redécouvrait, image après image, le savoir-faire de l’articulation de chacun des phonèmes. De voir ainsi les lettres écrites mentalement permettait de matérialiser sur ce support d’anticipation les écueils habituellement rencontrés, ainsi que de fournir l’effort pour les éviter.
2. le geste de l’écriture en portant l’attention cette fois sur l’image de la main qui trace.
Ces images lui ont offert le soulagement d’une préforme dynamique contenant tout le savoir-faire mémorisé dans les circuits nerveux.
Elles lui ont offert en outre l’avantage de pouvoir, comme toute activité mentale d’abstraction, acquérir un caractère de permanence du fait même de ce processus de mémorisation intrinsèque à l’opération de perception : le savoir-faire se fixe selon les trajets nerveux empruntés et devient au fil des répétitions de plus en plus facile à effectuer – tandis qu’il s’automatise du même coup. La conduite consciente devient alors de moins en moins nécessaire.
Il est à remarquer que certains musiciens, mais aussi certains entraîneurs sportifs, utilisent cette voie pour peaufiner à la fois maîtrise et justesse du geste.
H - Claude 16 ans
Un trouble complexe et apparemment rebelle du langage.
Claude est un bel adolescent, mûr, posé et équilibré - mais chez qui je sens une certaine fragilité fébrile - à qui j’aurais spontanément attribué deux ou trois ans de plus. Il est au lycée et consulte sur le conseil de son professeur principal.
Il souffre en effet et depuis toujours d’un problème de langage - oral et écrit. Cela l’handicape beaucoup et sur plusieurs plans : bégaiement latent, émission vocale qui ne correspond pas à ce qu’il avait l’intention de produire, mauvaise mémoire (en particulier de séquences mélodiques parlées), grande difficulté à se concentrer plus de dix minutes sur un travail, lecture laborieuse et donc sans plaisir, et enfin séquelles de dyslexie. Ce qui fait qu’il travaille peu et qu’il est un élève moyen. Il a pourtant certaines ambitions professionnelles, mais qui réclameraient une plus grande capacité à travailler : il commence donc à en faire son deuil. Il s’est jusqu’ici investi de façon importante dans quatre activités sportives simultanées, mais il les abandonne progressivement car, dit-il, « on ne fait plus que ça ». Ambiguïté donc.
… je dis séquelles de dyslexie car Claude a bénéficié trois années durant, alors qu’il était en primaire, d’une rééducation orthophonique, ce qui lui a permis d’accéder à la lecture et à une écriture quelque peu compatible avec des études secondaires. Mais le malaise est resté tenace et qui a la particularité de se manifester avec peut-être plus d’intensité encore dans la langue maternelle de ses parents, langue dont il use pour parler à son père qui, lui, s’exprime très peu en français. Et là, il est pratiquement incompréhensible paraît-il.
Pour poser avec Claude un projet de contrat je lui propose un travail que je baptiserai « Gestion Mentale » afin de lui offrir un repère thérapeutique nouveau - et socialement reconnu –. Je camperai d’emblée la nature du contenu car, je le préviens, ce travail pourra lui paraître austère et intense. En revanche je peux lui assurer de très beaux progrès dans les trois mois qui viennent. Je lui fais expérimenter quelques traits de ce travail. Stupéfait et curieux – en même temps que fatigué et plombé par cette première séance essai - il accepte d’aller plus loin.
Il s’agira d’exercices de perception en aveugle avec confection attentive des images mentales correspondantes, ceci sur plusieurs plans :
· et pour commencer, la conscience de son corps avec représentation associée, ceci par le biais de la rotation de la conscience. cf. intégration du corps ibid p. 20
· perception kinesthésique très fine, les yeux fermés, des points d’articulation des différents phonèmes. Nous leur associerons avec soin et une précision toute « horlogère », la gestuelle phonétique de Madame Borel Maisonni dans un travail de perception en lecture indirecte. D’abord en copie - j’accompagne moi-même ma lecture de la gestuelle correspondante qu’il il doit refaire avec grande précision -
de façon à ponctuer, marteler, rythmer,
le déroulement de l’écoulement du temps
et de la ligne mélodique du phrasé
Travail quasi musical de la sculpture de la temporalité
· puis au bout de quelques minutes, il doit se lancer à percevoir tout seul phonétiquement et à en évoquer seul la gestuelle, ceci, les yeux fermés.
· approfondissement de la fonction de lecture avec élaboration de « l’image de l’image » cf. ibid. p. 22
· et par la suite, pour amplifier ces processus d’intégration du langage articulé, parlé et écrit, il s’agira – toujours en aveugle – d’écrire mentalement les phrasés qu’il articule, ceci sous deux facettes différentes : premièrement, il les écrit de son propre chef au tableau et suit mentalement cette écriture, l’autre exercice étant celui dont j’ai parlé à propos de Chloé – image de l’image.
Au bout de huit séances, Claude perçoit dans son mental un étrange remue-ménage. Il me dit qu’il a l’impression de vraiment parler le français, de s’entendre utiliser spontanément des mots plus complexes ou plus longs, mots qu’il n’utilise jamais d’habitude. Autre observation satisfaisante pour lui, en chimie, il parvient clairement à se représenter des schémas de réactions chimiques entre les atomes, choses auxquelles il accédait avec peine et au prix d’un immense effort.
Au bout d’un mois il arrive en me disant son immense fierté de savoir dessiner, savoir représenter par lui-même un objet, au pied levé, sans être obligé de l’apprendre.
Motivé, il fait chez lui certains exercices qui lui semblent l’aider plus particulièrement. Son écriture devient beaucoup plus rapide et la prise de notes devient plus facile, la lecture également.
reconstruction d’une unité psycho-corporelle
amnésie et image mentale
I - Yohann 24 ans Un cas complexe de drépanocytose
Nous avons vu Yohan à l’âge de 24 ans. Yohan souffre d’une maladie génétique, la drépanocytose, qui a été détectée lorsqu’il avait 7 ans. A 13 ans, il est atteint d’une hémiplégie avec amnésie. L’hémiplégie régresse en une année, laissant d’importantes séquelles d’amnésie. C’est la raison pour laquelle il est suivi en orthophonie depuis cette date : sa réflexion est très lente, les éléments de réflexion vont et viennent de façon inconstante, les tests donnent des résultats nettement en dessous de sa tranche d’âge.
Yohan est par ailleurs sujet à avoir des crises d’épilepsie, rares mais dont il faut tenir compte. Pour cela il suit un traitement dont le dosage est difficile à réguler et qui a une incidence sur sa tonicité musculaire. Il a subi par ailleurs multiples interventions chirurgicales qui ont eu des complications et qui ont laissé des traces, posturales et psychiques. Plusieurs AVC depuis l’âge de 13 ans, mais sans paralysie ni aphasie apparente.
L’évolution de sa maladie proprement dite a repris lorsqu’il avait 20 ans. Elle bloque et déforme ses articulations et aujourd’hui il doit s’aider pour ses déplacements d’un déambulateur à roulettes sur lequel il peut s’appuyer. Sa respiration est gênée, comme tout son système articulatoire.
Au plan médical, les médecins sont déroutés par l’évolution atypique, à la fois complexe et imprévisible de sa maladie.
Il a aujourd’hui 25 ans C’est un jeune homme très doux, confiant et intelligent, mais qui, du fait de l’inquiétude permanente d’un risque de rechute qui l’entoure, compte tenu aussi de son suivi médical constant et de ses hospitalisations répétées, a développé une certaine passivité et une résignation, se laissant entièrement prendre en charge. Sous son calme apparent, il a d’importants moments de découragement.
Au plan orthophonique, Yohan, qui semble tout comprendre des conversations courantes, montre une très grande lenteur de réflexion. Il est très dispersé dans ses pensées,
· en premier lieu par le fonctionnement aléatoire de sa mémoire et du système d’évocation mentale défaillant,
· mais aussi par le fait que son attention est perpétuellement captée par les incessants petits évènements qui se passent au niveau de son corps – petites douleurs diverses, déséquilibres passagers, nécessité de réfléchir à la stratégie requise pour accomplir tel geste, respiration gênée –
· et j’ajouterai également par ses variations affectives et relationnelles, imaginaire, souvenirs, idées, qui sont évidemment très présentes
……bref, il montre une grande difficulté à maintenir son attention.
Ses mains sur lesquelles il s’appuie constamment pour s’équilibrer ne sont jamais libres pour l’action - écrire ou agir sur l’extérieur -.
Les tests montrent une mauvaise mémoire, une difficulté à rassembler le contenu de ses lectures pour les communiquer, à mettre en œuvre les mécanismes mentaux pour le calcul. Il ne parvient pas toujours – en tous les cas difficilement - à analyser, pour les reproduire, les éléments géométriques composant une forme donnée (tangram) et parallèlement il ne sait faire le croquis du plan de son appartement, le passage d’une pièce à l’autre étant très flou, voire complètement méconnu.
Au total, je constate l’état d’éclatement dans lequel il se trouve. La suite de notre travail va nous apporter compréhension physiologique à cet état.
Notre proposition thérapeutique va partir du principe suivant :
A - Dans un premier temps,
Aider Yohan à retrouver un corps plus confortable
qui lui libère l’esprit tout en le structurant.
· et pour commencer, travailler une respiration plus maîtrisée, plus ample et plus régulière qui apporte souplesse et fluidité à sa personne tout entière.
· pour ensuite l’aider à centrer son énergie et la conscience de lui-même au niveau du bassin, dans le creux des reins, point nodal d’où partira la dynamique psycho-motrice de toute sa gestuelle. Lui montrer comment on ouvre l’énergie à cet endroit pour une attitude tonique, et comment on la ferme pour une attitude de repli.
· troisièmement et en réponse au problème majeur de ses contractures déséquilibrantes, parvenir à lui faire comprendre que l’exercice régulier d’une articulation et qui s’appuie sur l’effectuation consciente d’une image mentale adaptée, le tout étant associé à la respiration, lui permettra une belle récupération générale. Le mot d’ordre étant - Prendre en main plutôt que de subir - .
· le tout vise à lui faire retrouver les racines de son corps unifié et centré,
« ce sur quoi les fonctions psychiques (vont re)trouve(r) leur étayage » Didier Anzieu.
Nous lui proposons là
J’en suis consciente. Il va falloir beaucoup de patience et de persévérance, mais le jeu en vaut la chandelle pour ce jeune homme si sympathique et si désespéré.
L’évolution des séances
· Très rapidement sa respiration s’améliore et avec elle, sa posture. Yohan est heureux et fier, mais toujours très dispersé, son esprit s’échappant très vite. Il se déplace maintenant droit comme un if, il a compris comment se centrer et mettre la tonicité dans la 5ème lombaire (c’est le centre de gravité). Mais ses contractures sont là et l’équilibre difficile, la puissance de sa tonicité fluctuant (liée aux médicaments) ce qui le fait s’écrouler à demi et parfois même, perdre l’équilibre.
· Nous adjoignons donc le travail suivant : conscience d’un équilibre postural dans des mouvements de translation. Tous ces exercices sur la conscience du corps en mouvement doivent inlassablement être répétés et repris dans différents types d’exercices pour que s’établisse durablement une conscience psycho-corporelle continue qui devienne réflexe.
· Son médecin référent de l’hôpital constate les progrès et lui confirme qu’il peut récupérer une marche normale. Cet appui est important pour nous, Yohan a grand besoin de réunir un avis consensuel de tous ses spécialistes. Il a en effet vu beaucoup de personnes qui chacune parlait d’un bout de lui, sans que jamais un lien soit fait l’élevant à son unité d’être et de personne. Comment alors pouvait-il réunir pour leur donner sens tous ces bouts de lui-même dissociés, lui que les atteintes amnésiques mal récupérées avaient déjà morcelé dans les profondeurs de son corps et de son esprit ?
· Au fil des séances, je constate les séquelles amnésiques :
Yohan a une représentation de son corps hachurée : ainsi par exemple, lorsque je lui demande de faire consciemment une rotation de l’épaule droite, ceci en fermant les yeux pour se représenter ce mouvement, Yohan s’aperçoit que, s’il peut suivre du regard intérieur la rotation vers l’avant, il en perd l’image pour la rotation vers l’arrière. Je peux constater que cette image mentale se perd aussi bien du reste sous l’effet d’une contracture musculaire (tout le secteur tendino-musculaire est assez grippé, nous devons donc effectuer cet exercice en parfaite relaxation). Je lui demande alors d’effectuer ce même exercice avec l’épaule gauche, ce qu’il réussit bien, puis de projeter cette image intérieure sur l’épaule droite en même temps qu’il effectue le mouvement. Expérience réussie, l’image peut se faire et donne au mouvement une plus grande ampleur. Il faudra répéter souvent cet exercice pour que sa mémoire se fixe durablement - pour qu’il apprenne aussi à relâcher et à laisser passivement conduire son bras.
C’est un exercice postural très important au plan émotionnel,
d’ouverture à la conscience
et de présence au monde.
cf. l’évolution posturale et l’accès à la conscience
in « Le geste et la parole » André Leroi Gourhan
Son regard et toute l’expression de son visage
s’éclairent d’une conscience accrue
· Ayant observé que son champ perceptif était très restreint et qu’il s’attachait principalement aux stimulations provenant de son propre corps (à tonalité de dysfonctionnement bien plus que d’invitations à la découverte du monde extérieur du reste), j’ai entrepris de lui faire découvrir l’entrée et le couloir de l’appartement où nous sommes en l’explorant par son geste qui va évaluer les grandeurs et qui prendra des mesures (par la main ou par l’écartement des bras) pour en dessiner le plan. Belle expérience de valorisation de son corps pour Yohan qui courageusement entre dans le jeu. Il découvre littéralement (et non sans mal dans le dédale des recoins qu’il oublie), le lieu dans lequel il vient régulièrement trois fois chaque semaine. A l’issue de cette séance il constate que son regard est maintenant changé. Nous referons ce même plan à la séance suivante, de mémoire cette fois.
· Alors que le travail de respiration profonde consciente est assez difficile pour lui (c’est un travail austère et particulièrement contraignant en ce que, touchant en premier chef à l’émotionnel, l’imaginaire prend vite le pas), je me suis aperçue que là aussi, Yohan ne « voyait pas » mentalement son abdomen lorsqu’il conduisait consciemment une inspiration par la narine droite alors qu’il le voyait bien lorsqu’il le faisait par la narine gauche. Subtilité d’attention qui s’explique par le fait que la moitié droite du corps est principalement gérée par l’hémisphère gauche, et vice versa. Une respiration alternée favorisera la visualisation par projection active de l’image sur l’autre côté, et donc participera à la récupération des circuits cérébraux. Elle permettra en même temps une respiration bien plus ample par la conduite consciente de l’air jusqu’au diaphragme.
B – Dans un deuxième temps
Puis dans une deuxième phase, nous commençons à travailler activement une récupération systématique de l’amnésie par le biais de « l’image de l’image »
ibid. p.22.
Et pour renforcer l’intensité de la concentration, nous imaginons le travail suivant : il a les yeux fermés, je conduis sa main à tracer au tableau un mot écrit à l’envers. Il doit se représenter mentalement cette trace écrite sans chercher à en deviner le sens, puis il doit reproduire ce tracé au tableau, et enfin il doit toujours mentalement et en aveugle, le lire de droite à gauche.
Cela l’amuse beaucoup et il y met toute son attention.
Puis très vite il y prend un réel intérêt car il a pu introduire avec succès cette démarche dans des situations de la vie quotidienne où il se trouve en difficulté.
Ainsi par exemple il me dit que la veille, n’ayant pas su copier un dessin de château fort qu’il avait à reproduire (il ne voyait pas du tout comment faire), il a cherché à retrouver une image analogue dans ses souvenirs d’enfant, ce qui lui a permis de réussir.
J’ai cherché à comprendre de quelle impossibilité il parlait et j’ai compris qu’il avait perdu le savoir faire du rendu de perspective, opération très abstraite et que les enfants n’acquièrent qu’assez tard : alors qu’il n’a aucun problème pour copier des diagonales ou pour les percevoir tant par le sens kinesthésique qu’au niveau du tracé en aveugle, il a perdu cette distanciation psychique et mentale introduite par l’expérience du corps en mouvement, et qui est nécessaire à la conception de la ligne de fuite comme représentant la profondeur de l’espace.
Je remarque aussi d’autres distorsions :
ainsi par exemple lorsqu’il doit, en phase finale, lire le mot qu’il voit écrit à l’envers sur son écran frontal,
alors qu’il sait très bien évoquer chacune des lettres composant un son composé (par exemple [ou], [ain], etc… ) il ne sait pas forcément les lire phonétiquement. Il le retrouve par la lecture yeux ouverts.
Les résultats de cette deuxième phase de travail se font sentir très vite et au bout de trois semaines il me dit que sa lecture est plus rapide et qu’il ne saute plus de lignes en lisant. Son écriture, elle aussi, récupère une belle rapidité.
Durant les séances, je constate que son esprit s’échappe moins et qu’il est beaucoup plus présent à ce qu’il fait. Il est en tous les cas très motivé.
La bonne nouvelle est qu’il n’utilise plus du tout son déambulateur dans ses déplacements d’intérieur. Toutefois son équilibre est toujours fragile et très dépendant du dosage de Trileptal.
Nous reprenons donc un travail corporel d’affirmation de soi au niveau de la marche. Et nous faisons l’exercice de la marche contre résistance ibid. p. 30.
L’objectif visé est de rassembler toute sa force dynamique au niveau du bassin pour l’ancrer davantage au sol et améliorer son équilibre. Il en perçoit les multiples bénéfices : équilibre, affirmation de soi et puissance dans la maîtrise de l’avancée, travail de nature assez virile.
…. en guise de
CONCLUSION
Dans un souci de clarté théorique nous avons pris le parti de soigneusement isoler pour la décrire la part strictement physiologique des désordres présentés. Il va sans dire que chez tout un chacun elle est étroitement entremêlée au vécu psycho affectif qui la module et la modèle au gré de ses fantaisies, ce dont il nous faut tenir compte dans notre pratique.
Toutefois nous observons qu’aujourd’hui, bien plus qu’hier, cette part physiologique sans cause organique prend une place prépondérante au point d’être bien souvent la cause prééminente des désordres. Elle relève alors d’une éducation simple - mais d’un nouveau type - n’étant à proprement parler pas une pathologie.
Nous avons parfaitement conscience qu’il s’agit là d’une réalité psycho somatique peu aisée à appréhender de nos jours. C’est qu’elle concerne en effet ce précisément à quoi nous cherchons tous à échapper, à savoir notre lien à la matière. Ceci est d’autant plus difficile en cette époque où les performances de la technologie toujours plus excellentes et plus pointues nous fascinent, tant par le rêve de désincarnation qui nous saisit que parce qu’elles nous libèrent des tâches pénibles ou besogneuses. Mais cette fascination, et l’investissement psychique majeur qu’elle entraîne avec elle, nous coupe irrémédiablement – et c’est là que vient s’inscrire la pathologie – de notre ancrage au corps qui est la clé INCONTOURNABLE de notre équilibre psycho somatique. Et c’est ainsi que le réel nous rattrape au galop, prenant la forme de différents symptômes qu’il va s’agir de décrypter à la lueur de la physiologie.
Cependant, au cœur de cet état de chose nous discernons un avantage potentiel et qui peut devenir majeur si nous prenons la peine de mesurer l’enjeu. Celui de permettre, dans ce retour aux fondements du mental, d’ouvrir le chemin à de nouvelles méthodes pédagogiques qui soient capables de former – et non de formater - à une pensée créative car subjective, hors des sentiers convenus, car nourrie dans son essence du plus intime du sujet.
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